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Stephanie Bertrand Jean-Michel Wittmann
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Vous trouverez en bas de cette page plusieurs ressources critiques en ligne sur cette oeuvre. Elles figurent en couleur.

 

Dugas Guy, « Gide, Loti, de Max », Bulletin des Amis d'André Gide, n° 121, janvier 1999, p. 79-82.

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Levesque Robert, « Le journal inédit de Robert Levesque (suite) : Carnets VIII et IX (16 mai 1993-10 février 1934) », Bulletin des Amis d'André Gide, n° 62, avril 1984, p.217-260.

Levesque Robert, « Le journal inédit (Carnets X et XI : 22 février-28 août 1934) », Bulletin des Amis d'André Gide, n° 63, juillet 1984, p.416-476.

Levesque Robert, « Le journal inédit (suite). Carnets XII et XIII (août 1934-mars 1935) », Bulletin des Amis d'André Gide, n° 64, octobre 1984, p.561-620.

Levesque Robert, « Le journal inédit (suite). Carnets XIV et XV (13 mars-21 août 1935) », Bulletin des Amis d'André Gide, n° 65, janvier 1985, p.68-119.

Levesque Robert, « Journal inédit. Carnet XVII (mars-juin 1936) », Bulletin des Amis d'André Gide, n° 72, octobre 1986, p.25-44.

Levesque Robert, « Journal inédit. Carnet XVII (fin) », Bulletin des Amis d'André Gide, n° 73, janvier 1987, p.82-101.

Levesque Robert, « Journal inédit. Carnet XVIII », Bulletin des Amis d'André Gide, n° 76, octobre 1987, p.51-70.

Levesque Robert, « Journal inédit (25 juin-11 septembre 1936). », Bulletin des Amis d'André Gide, n° 81, janvier 1989.

Levesque Robert, « En Grèce avec Gide. Journal inédit (avril 1939), présenté par Pierre Masson », Bulletin des Amis d'André Gide, n°90/91, avril-juillet 1991, p. 305-335.

Levesque Robert, « Journal inédit (Carnet XIX)  », Bulletin des Amis d'André Gide, n°94, avril 1992, p. 177-186.

Levesque Robert, « Journal inédit (Carnet XX)  », Bulletin des Amis d'André Gide, n°95, juillet 1992, p. 332-364.

Levesque Robert, « Journal inédit (Carnet XXI)  », Bulletin des Amis d'André Gide, n°96, octobre 1992, p. 481-502.

Levesque Robert, « Journal inédit (Carnet XXI)  », Bulletin des Amis d'André Gide, n°98, avril 1993, p. 194-213.

Levesque Robert, « Journal inédit (Carnet XXII)  », Bulletin des Amis d'André Gide, n°99, juillet 1993, p. 503-521.

Levesque Robert, « Journal inédit (Carnet XXII)  », Bulletin des Amis d'André Gide, n°100, octobre 1993, p. 661-679.

Levesque Robert, « Journal inédit (Carnet XXIII)  », Bulletin des Amis d'André Gide, n°101, janvier 1994, p. 127-151.

Levesque Robert, « Journal inédit (Carnet XXIII)  », Bulletin des Amis d'André Gide, n°102, avril 1994, p. 317-361.

Levesque Robert, « Journal inédit (Carnet XXIII et XXIV)  », Bulletin des Amis d'André Gide, n°103-104, juillet-octobre 1994, p. 475-494.

Levesque Robert, « Journal inédit (Carnet XXIV)  », Bulletin des Amis d'André Gide, n°105, janvier 1995, p. 137-171.

Levesque Robert, « Journal inédit (Carnet XXV)  », Bulletin des Amis d'André Gide, n°106, avril 1995, p. 319-346.

Levesque Robert, « Journal inédit (Carnet XXVI)  », Bulletin des Amis d'André Gide, n°107, juillet 1995, p. 449-474.

Levesque Robert, « Journal inédit (Carnet XXVI, fin)  », Bulletin des Amis d'André Gide, n°108, octobre 1995, p. 581-605.

Levesque Robert, « Journal inédit. Carnets XXVII et XXVIII. », Bulletin des Amis d’André Gide, numéro 109, janvier 1996, p. 87-119.

Levesque Robert, « Journal inédit. Carnets XXIX. Introduction au Choix des poèmes de Denys Solomos.», Bulletin des Amis d’André Gide, n°110-111, avril-juillet 1996, p.217-280.

Levesque Robert, « Journal inédit. Carnets XXX. », Bulletin des Amis d’André Gide, n°113, janvier 1997, p. 69-89.

Levesque Robert, « Journal inédit. Carnets XXXI. », Bulletin des Amis d’André Gide, n°117, janvier 1998, p. 83-86.

Levesque Robert, « Journal inédit. Carnets XXXI. », Bulletin des Amis d’André Gide, n°118, avril 1998, p. 229-250.

Levesque Robert, « Journal inédit (octobre-décembre 1943). », Bulletin des Amis d’André Gide, n°128, octobre 2000, p. 515-530.

Levesque Robert, « Journal inédit (décembre 1943-janvier 1944). », Bulletin des Amis d’André Gide, n°129, janvier 2001.

Levesque Robert, « Journal inédit (janvier-avril 1944). », Bulletin des Amis d’André Gide, n°133, janvier 2002, p 79-94.

Levesque Robert, « Journal inédit (Carnet XXXII, fin : janvier-juin 1944). », Bulletin des Amis d’André Gide, n°134, avril 2002, p 217-230.

Levesque Robert, « Journal inédit (juin-septembre 1944). », Bulletin des Amis d’André Gide, n°137,  janvier 2003, p 91-100.

Levesque Robert, « Journal inédit (septembre-octobre 1944). », Bulletin des Amis d'André Gide, n° 139, juillet 2003, p. 373-386.

Levesque Robert, « Journal inédit (octobre-novembre 1944). », Bulletin des Amis d’André Gide, n°140, octobre 2003, p. 521-528.

Levesque Robert, « Journal inédit(novembre-décembre 1944).  », Bulletin des Amis d'André Gide, n°141, janvier 2004, p. 69-80.

Levesque Robert, « Journal inédit (décembre 1944-janvier 1944). », Bulletin des Amis d'André Gide, n° 143-144, juillet-octobre 2004, p. 389-402.

Levesque Robert, « Journal inédit (janvier-février 1945). », Bulletin des Amis d'André Gide, n° 145, janvier 2005, p. 91-102.

Levesque Robert, « Journal inédit (février-avril 1945). », Bulletin des Amis d'André Gide, n° 146, avril 2005, p. 251-270.

Levesque Robert, « Journal inédit (février-avril 1945). », Bulletin des Amis d'André Gide, n° 147, juillet 2005, p. 381-398.

Levesque Robert, « Journal inédit. Cahier XXXVI (fin) : juin-août 1945. », Bulletin des Amis d'André Gide, n° 148, octobre 2005, p. 553-570.

Levesque Robert, « Journal inédit (août-octobre 1945). », Bulletin des Amis d’André Gide, n°149, janvier 2006, p. 93-110.

Levesque Robert, « Journal inédit (juin-août 1945). », Bulletin des Amis d’André Gide, no 150, avril 2006, p. 299-314.

Levesque Robert, « Journal inédit (novembre 1945- mars 1946). », Bulletin des Amis d’André Gide, n°151, juillet 2006, p. 489-508.

Levesque Robert, « Journal inédit (mars-avril 1945). », Bulletin des Amis d’André Gide, n°152, octobre 2006, p. 649-668.

Levesque Robert, « Journal inédit (août-octobre 1945). », Bulletin des Amis d’André Gide, n°153, janvier 2007, p. 121-132.

Levesque Robert, « Journal inédit (septembre- octobre 1946). », Bulletin des Amis d’André Gide, n°154, avril 2007, p. 279-290.

Levesque Robert, « Journal inédit (octobre- décembre 1946. », Bulletin des Amis d’André Gide, n°155, juillet 2007, p. 451-462.

Levesque Robert, « Journal (décembre 1946-janvier 1947). », Bulletin des Amis d'André Gide, n° 157, janvier 2008, p. 87-98.

Levesque Robert, « Journal inédit. Carnet XXXIX (15 février - 26 mai 1947). », Bulletin des Amis d'André Gide, n° 158, avril 2008, p. 275-292.

Levesque Robert, « Journal inédit. Carnet XXXIX (29 mai - 30 septembre 1947). », Bulletin des Amis d'André Gide, n° 159, juillet 2008, p. 367-384.

Levesque Robert, « Journal inédit. Carnet XL (2 octobre - 11 décembre 1947). », Bulletin des Amis d'André Gide, n° 160, octobre 2008, p. 553-576.

Levesque Robert, « Journal (décembre 1947 - mars 1948). », Bulletin des Amis d'André Gide, n° 161, janvier 2009, p. 95-124.

Levesque Robert, « Journal (mars - mai 1948). », Bulletin des Amis d'André Gide, n°162, avril 2009, p. 225-246.

Levesque Robert, « Journal (mai - juin 1948). », Bulletin des Amis d'André Gide, n°163, juillet 2009, p. 401-414.

Levesque Robert, « Journal (juin - octobre 1948). », Bulletin des Amis d'André Gide, n°164, octobre 2009, p. 557-570.

Levesque Robert, « Journal, suite (octobre 1948- janvier 1949). », Bulletin des Amis d'André Gide, n°165, janvier 2010, p. 103-116.

Levesque Robert, « Journal (janvier - avril 1949). », Bulletin des Amis d'André Gide, n°166, avril 2010, p. 235-250.

Levesque Robert, « Journal (mai - septembre 1949). », Bulletin des Amis d'André Gide, n° 167, juillet 2010, p. 363-384.

Levesque Robert, « Journal (septembre - novembre 1949). », Bulletin des Amis d'André Gide, n° 168, octobre 2010 p. 491-524.

Levesque Robert, « Journal (novembre 1949 - avril 1950). », Bulletin des Amis d'André Gide, n° 169, janvier 2011, p. 103-120.
Levesque Robert, « Journal (avril-octobre 1950). », Bulletin des Amis d'André Gide, n° 170, avril 2011, p. 263-266.
Levesque Robert, « Journal (novembre 1950 - mars 1951). », Bulletin des Amis d'André Gide, n° 171, juillet 2011, p. 383-396.

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Sur ce personnage des Faux-monnayeurs, Gide a donné des clés de lecture. À la correspondante qui croit déceler derrière ce personnage un emprunt aux Mémoires de Saint-Simon, il répond en Appendice du Journal des Faux-Monnayeurs que la première source est son professeur de piano, Marc de Lanux, dont il parle dans Si le grain ne meurt. Le second modèle est « un autre plus bizarre dont je me propose de parler un jour » (JFM, p. 563). Il s’agirait du père Alfred Espinas, beau-père de sa cousine Jeanne, sur qui Gide reviendra dans Ainsi soit-il en insistant sur la « folie » du mari qui, lors de la mort de sa femme, « pensa confusément que ce quelqu’un ne pouvait être que lui » (Ainsi soit-il..., p. 1010), sauf que, durant les prières autour du cercueil, il s’écria : « Mort ou vivant, il faut pourtant que je mange » (Ibid.)

En dépit de la place marginale que Gide donne au personnage de La Pérouse, d’abord dans le Journal et dans Si le grain ne meurt et, finalement, dans Les Faux-Monnayeurs, les sept moments de rencontre d’Édouard avec La Pérouse qui « farcissent » les diverses intrigues du roman pourraient bien révéler un discours « autre » par rapport aux différents récits. Quelques détails suffiront à mieux comprendre. Voilà la première visite d’Édouard à son ancien maître de piano :

La Pérouse est venu m’ouvrir. Il était en bras de chemise et portait sur la tête une sorte de bonnet blanc jaunâtre, où j’ai fini par reconnaître un vieux bas (de madame de la Pérouse sans doute) dont le pied noué ballottait comme le gland d’une toque contre sa joue. Il tenait à la main un tisonnier recourbé. Évidemment je le surprenais dans une occupation de fumiste […] (FM, p. 259-260).

Dans ce passage, quelque chose retient l’attention sans que l’on puisse immédiatement mettre au point une image précise. Enfin, une comparaison avec Pirandello peut aider à interpréter la scène. Le bonnet et le tisonnier renvoient à l’acteur de la sotie, le sot, qui disait ses vérités inconfortables, le bonnet d’âne sur la tête et la marotte à la main. De plus, l’activité de fumiste corrobore cette lecture, dès lors que le terme est pris dans son glissement sémantique vers la fumisterie, c’est-à-dire le manque de sérieux de celui qui démystifie avec fantaisie. À cette acception du terme s’ajoute la nuance de la couleur jaune qui, dans la symbolique médiévale, était associée au mensonge, à la trahison, aux juifs et aux criminels et qui, en général, avec le vert, caractérisait les vêtements des fous. Bref, on retrouve là les couleurs de la singularité individuelle et sociale. Malgré toutes ces notations, le sens autre que ce passage suggère reste encore incomplet. En effet, si on le relit, on s’aperçoit d’un autre syntagme à double sens : le bonnet était probablement un bas de madame La Pérouse, ce qui veut dire que c’est sa femme qui lui avait « mis » ce bonnet qui le rendait ridicule. Ce détail laisse entendre ainsi que sa femme l’a rendu fou, ou bien le fait passer pour un fou, ou encore le considère comme un fou en raison de sa vision propre de la vérité. Si l’on se rapporte au mariage en crise du couple La Pérouse, ce bonnet acquiert un sens tout à fait pirandellien (ce qui pousse à croire aussi que le choix du mot « gland », tout à fait gidien, en revanche, n’est pas exactement un hasard). Pirandello écrit en 1917 une comédie, Le Bonnet de fou, représentée à Rome en 1923. Il la rédige et la fait mettre en scène dans l’intervalle de temps entre les premières manifestations de la maladie mentale de sa femme, - atteinte de paranoïa se manifestant par des excès de jalousie -, et le moment où il dut enfin décider de la faire enfermer dans une maison de fous. Or, si les sots médiévaux coiffés de leur bonnet d’âne faisaient résonner dans les rues du bourg les grelots de leur marotte, dans le titre en italien de la pièce (aussi bien que dans la version en sicilien), le bonnet est à grelots : c’est le bonnet des bouffons, en particulier des bouffons qui se font croire fous et qui ressemblent de près aux sots. La comédie se fonde sur le bouleversement paradoxal des apparences sociales : tant qu’un adultère n’est pas reconnu comme un fait public, le mari peut même faire semblant de ne pas savoir et accepter la situation. Cependant, lorsque le scandale éclate et que l’honneur du mari en est lésé devant les autres, il faut faire appel aux règles qui régissent la vie en commun. Chacun de nous est une marionnette, mais dans l’interaction avec autrui, chacun doit savoir utiliser les modalités de la coexistence, les trois cordes, selon Pirandello : la sérieuse, sur la tempe droite, la civile, au milieu du front, et la folle, sur la tempe gauche. Dans la vie de tous les jours, les marionnettes vivent sur le mode de la civilité, des façades, mais si celles-ci s’effritent et que la vérité apparaît derrière les convenances, il faut tourner la corde sérieuse, celle qui permet de parler clairement, sans masques, et de trouver un accord valable pour tous, sinon l’on risque de laisser libre essor à la corde folle et de faire n’importe quel geste, même criminel, pour rétablir son honneur.

Or, madame La Pérouse est accusée d’être jalouse et le premier épisode se referme sur l’image, à en croire le mari, de la femme qui « traverse une crise terrible » (FM, p. 263), car « [e]lle devient folle » (Ibid.). Le suivant s’ouvre en revanche sur madame La Pérouse qui accueille Édouard à la porte. Cette fois-ci, c’est l’état de santé mentale inquiétant de monsieur La Pérouse qui est au premier plan, car il se refuse à se soigner et fait n’importe quoi pour agacer sa femme et lui déplaire. Les deux versions se confrontent comme dans un jeu de miroirs, sans que l’on puisse déterminer où est la vérité et qui est le véritable fou, s’il y a un fou. Gide pose la question en termes de martyr et de bourreau, ce qui rappelle les atmosphères pirandelliennes de Comme ci (ou comme ça), mais surtout de Chacun sa vérité, où la vérité, impossible à atteindre, se présente à la fin comme le personnage voilé de la femme de Monsieur Ponza et de la fille de madame Frola à la fois, s’exclamant : « Moi, c’est celle qu’on me croit » [Così è (se vi pare), p. 528]. Les différentes versions possibles des faits se côtoient en effet le long du récit gidien, dans la scène où madame La Pérouse accuse son mari de vouloir l’enfermer dans une maison de retraite. Et Gide ajoute : « Ceci était dit sur un ton apitoyé qui respirait l’hypocrisie », et ensuite : « [t]andis qu’elle poursuivait ses doléances, la porte du salon s’est doucement ouverte derrière elle et La Pérouse, sans qu’elle l’entendît, a fait son entrée. Aux dernières phrases de son épouse, il m’a regardé en souriant ironiquement et a porté une main à son front, signifiant qu’elle était folle » (FM, p. 293). La Pérouse, toujours de manière spéculaire, balaie toutes les accusations que son épouse lui avait adressées, de sorte que la situation se renverse et que l’état mental de sa femme apparaît alors profondément altéré. Car c’est elle qui menace de se faire enfermer dans une maison de retraite pour en finir avec les comportements capricieux et désobligeants de son mari. La vérité demeure donc subjective, parce qu’elle procède de différents points de vue. Cette considération, ainsi que le geste de signifier qu’elle est folle, rappelle la mimique de Ciampa, le héros du Bonnet de fou, expliquant l’emploi des trois cordes aussi bien que l’intrigue d’Un vero uomo, pièce tiré d’une nouvelle de Umanumo que Pirandello met en scène en 1927 et qui ressemble de près à son Bonnet de fou. L’auteur espagnol était connu des deux écrivains et, qui plus est, avait vécu à Paris, rue La Pérouse, quelques années avant Pirandello.

Chaque fois que l’un des époux prend le devant de la scène en devenant le pivot du récit et le porteur d’une des possibles vérités, Gide n’hésite pas à le plonger dans une atmosphère théâtrale. Cela concerne les accoutrements, le bonnet et le tisonnier de Monsieur La Pérouse, la « perruque à bandeaux noirs » qui donne à madame La Pérouse « un aspect de harpie » (FM, p. 293) aussi bien que les lieux de cette « triste comédie » (FM, p. 356) et les attitudes d’acteur du vieillard jusqu’au monologue suivant :

Comme si Dieu ne voulait pas me laisser partir. Imaginez une marionnette qui voudrait quitter la scène avant la fin de la pièce... Halte là ! On a encore besoin de vous pour le finale. […] J’ai compris que ce que nous appelons notre volonté, ce sont les fils qui font marcher la marionnette, et que Dieu tire. Vous ne saisissez pas ? Je vais vous expliquer. Tenez : je me dis à présent : ‘Je vais lever mon bras droit’ ; et je le lève. (Effectivement il le leva.) Mais c’est que la ficelle était déjà tirée pour me faire penser et dire : « Je veux lever mon bras droit »… Et la preuve que je ne suis pas libre, c’est que si j’avais dû lever l’autre bras, je vous aurais dit : « Je m’en vais lever mon bras gauche »… Non ; je vois que vous ne me comprenez pas. Vous n’êtes pas libre de me comprendre… Oh ! je me rends bien compte à présent, que Dieu s’amuse. Ce qu’il nous fait faire, il s’amuse à nous laisser croire que nous voulions le faire. C’est son vilain jeu… Vous croyez que je deviens fou ? À propos : figurez-vous que madame de La Pérouse… vous savez qu’elle est entrée dans une maison de retraite… Eh bien ! figurez-vous qu’elle se persuade que c’est un asile d’aliénés, et que je l’y ai fait interner pour me débarrasser d’elle, avec l’intention de la faire passer pour folle (FM, p. 359).

La Pérouse ressemble alors à un philosophe conscient de l’illusion du choix et du jeu de fantoches - la « fantocciata » de Pirandello - qu’est la vie, bref à un raisonneur désillusionné, à l’instar de Baldovino dans La Volupté de l’honneur, du père dans Les Six Personnages en quête d’auteur, de Ciampa dans Le Bonnet de fou, et de tant d’autres. Defouqueblize avait déjà préfiguré cette posture. Certes, les marionnettes qui se substituent à l’humanité privée de toute volonté d’action, ainsi que la vérité insondable dans le rapport entre monsieur et madame La Pérouse, sont des idées gidiennes, mais elles ne s’inscrivent pas moins dans le sillon de la philosophie pirandellienne. Tout cela fait penser immédiatement à cet humorisme que Pirandello utilise comme instrument pour détecter les dysharmonies de l’existence en les analysant d’un regard lucide mais impitoyable, d’autant plus que souvent, les personnages pirandelliens qui sont capables de se voir vivre se réduisent à une pure logique en agissant comme des « mannequins ».

Il faut encore s’arrêter sur la donnée personnelle : la maladie mentale d’Antonietta Portulano, la femme de Pirandello, a joué un rôle essentiel dans l’œuvre du Sicilien. En fait, Antonietta croyait que son mari la trahissait, malgré les démentis de Pirandello lui-même. C’était l’époque de la rédaction de Feu Mathias Pascal. Mais le rapport bourreau-victime est bien mis en place dans On tourne, où le personnage de Monsieur Cavalena est totalement soumis à la jalousie incontrôlable et inexplicable de sa femme. Il en est tellement conditionné que toute son existence personnelle et professionnelle est bouleversée. En effet, de temps à autre, il écrit des scénarios pour le cinéma qui se terminent toujours avec quelqu’un qui se tue, d’où le sobriquet de « suicide » dont on l’a affublé. De plus, une maladie lui a causé une calvitie que Fabrizio Cavalena cache avec une perruque bouclée et un mauvais chapeau. Un autre personnage-emblème de ce « sentiment du contraire » qui déclenche l’humorisme pirandellien : conscient d’être la proie d’une pauvre malade qu’il aime, il se retrouve figé dans une forme qu’il n’a pas voulue, mais qu’il doit accepter et qui se transforme en cet enfer domestique où personne n’est épargné, même pas leur fille Luisetta que la mère accuse de vouloir lui voler l’argent de sa dot grâce à laquelle ils réussissent à vivre. Dans la vie privée, Antonietta, élevée par un père jaloux jusqu’à l’excès qui la fit éduquer dans un couvent, eut des soupçons à l’encontre de Lietta, sa propre fille, même en l’accusant d’inceste. Lietta fut éloignée de la maison de ses parents mais, frappée d’une pareille accusation, elle tenta de se suicider par un coup de pistolet. Pirandello, lui aussi, envisagea de mettre fin à ses jours et à une situation tellement déchirante, sans compter qu’il n’arrivait plus à vivre de ses gains : « L’argent ne suffit jamais : tout ce qu’on gagne est immédiatement avalé, dévoré par le désordre qui règne chez moi comme un souverain absolu coiffant le bonnet de fous », écrit-il à son ami Ojetti. Gide aurait pu avoir accès à Feu Mathias Pascal et On tourne, traduits en français, le premier en 1910, et le deuxième, en 1925. D’ailleurs, a fortiori, les réflexions de Pirandello dans la lettre à Ojetti ainsi que les blessures infligées par cette femme malade, quoique réélaborées, semblent trouver un écho, de manière surprenante, dans l’histoire que La Pérouse raconte à Edouard à propos de la présumée maladie de sa femme. Mais l’écho est bien audible aussi dans le sentiment d’incertitude qui reste au lecteur sur la version définitive, et donc plus proche de la vérité, et sur l’internement final de madame La Pérouse dans une maison de retraite ou un asile d’aliénés, selon les deux points de vue, de même que sur le propos, irréalisé, de La Pérouse de se suicider. Certes, nous ne pouvons pas ignorer les réprimandes de Gide à l’« impétueuse correspondante » et ses critiques contre la « manie moderne de voir influence (ou “pastiche”) à chaque ressemblance que l’on découvre » (JFM, p. 562). Mais la correspondante accuse Gide de malhonnêteté par rapport à un présumé emprunt littéraire conscient qu’il n’aurait pas avoué. Ce à quoi Gide rétorque qu’une œuvre d’art n’a pas moins de mérite pour s’être inspirée de la réalité. Et si le second cas laissé ouvert, comme toute prétérition, donnait droit à un troisième cas réel, celui de Pirandello et de sa femme ? Il s’agit là d’une hypothèse, bien sûr, même si les ressemblances sont nombreuses. Mais là, en retombant dans le domaine de la littérature, nous commettons peut-être précisément cette même faute que Gide reproche à sa correspondante. Serions-nous obligés de parler de simples coïncidences ? Soit, mais alors l’une d’entre elles revient avec insistance : le Lapérouse des ébauches et manuscrits devient La Pérouse du Journal et des Faux-Monnayeurs ; il s’agit là d’un simple changement graphique, mais les deux lettres majuscules, L et P, se trouvent être – coïncidence ? -  les initiales de Luigi Pirandello.

 

Marco LONGO

BIBLIOGRAPHIE RAISONNÉE

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Gide André, Ainsi soit-il ou Les jeux sont faits, dans Souvenirs et voyages, édition présentée, établie et annotée par Pierre Masson, avec la collaboration de Daniel Durosay et Martine Sagaert, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2001.

Gide André, Les Faux-Monnayeurs, dans Romans et récits. Œuvres lyriques et dramatiques, t. 2, édition publiée sous la direction de Pierre Masson, avec lacollaboration de Jean Claude, Céline Dhérin, Alain Goulet et David H. Walker, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2009.

Gide André, Journal des Faux-Monnayeurs, dans Romans et récits. Œuvres lyriques et dramatiques, t. 2, édition publiée sous la direction de Pierre Masson, avec la collaboration de Jean Claude, Céline Dhérin, Alain Goulet et David H. Walker, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2009.

Gioanola Elio, Pirandello, la follia, nuova edizione integrata con saggi su Liolà e I sei personaggi, Milano, Jaca Book, 1997.

Giudice Gaspare, Pirandello, Torino, UTET, 1963.

Goulet Alain, André Gide. « Les Faux-Monnayeurs », mode d’emploi, Paris, SEDES, 1991.

Goulet Alain, « En marge des Faux-Monnayeurs. Notes et réflexions. Fragments retranchés et ébauches », dans Romans et récits. Œuvres lyriques et dramatiques, t. 2, édition publiée sous la direction de Pierre Masson, avec lacollaboration de Jean Claude, Céline Dhérin, Alain Goulet et David H. Walker, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2009, p. 500 et p. 1232, note n° 1 au chapitre XIII des Faux-Monnayeurs.

Pirandello Luigi, « Così è (se vi pare) », dans Maschere nude, a cura di Italo Borzi e Maria Argenziano, edizione integrale in un solo volume, Roma, Grandi Tascabili Economici, Newton & Compton, 1993.

Pirandello Luigi, « Il berretto a sonagli », dans Maschere nude, a cura di Italo Borzi e Maria Argenziano, edizione integrale in un solo volume, Roma, Grandi Tascabili Economici, Newton & Compton, 1993.

Pirandello Luigi à Ojetti Ugo, Carteggi inediti, dans Pirandello Luigi, Carteggi inediti (con Ojetti, Albertini, Orvieto, Novaro, de Gubernatis, De Filippo), Sarah Zappulla Muscarà (éd.), Roma, Bulzoni editore, 1980, p. 78.

Pastoureau Michel, « Formes et couleurs du désordre : le jaune avec le vert », in Schmitt Jean-Claude (éd.), Médiévales, « Ordre et désordre », n° 4, 1983, p. 62-73, consulté en ligne le 05/11/2020 et disponible sur www.persee.fr/doc/medi_0751-2708_1983_num_2_4_921

Dictionnaire du Moyen Âge, littérature et philosophie, France, Enciclopædia Universalis, 2019.

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Raskolnikov est le personnage principal du roman de Dostoïevski Crime et Châtiment, publié en 1866. Dans la dernière sotie de Gide, Les Caves du Vatican, certaines des caractéristiques du personnage de Lafcadio rappellent celles de Raskolnikov, ce qui n’est pas étonnant compte tenu de l’intérêt manifesté par Gide pour l’œuvre de Dostoïevski à cette époque.

Coupés de leurs familles, Raskolnikov et Lafcadio vivent de manière relativement isolée et vont dans la ville et ses rues, à l’aventure. Ce déracinement les rend toujours disponibles, suivant le terme gidien, c’est-à-dire ouverts à tous les imprévus et prêts à profiter de tout ce que la vie peut offrir, dès qu’ils rencontrent quelqu’un ou quelque chose propre à éveiller leur curiosité. Agissant comme dans un rêve, ils se voient eux-mêmes comme des héros tout puissants. L’épisode de Crime et châtiment où Raskolnikov sauve héroïquement des enfants d’un bâtiment en flammes trouve un écho direct dans Les Caves du Vatican, où Lafcadio fait de même sous le regard admiratif de Geneviève, la fille de Julius de Baraglioul. Raskolnikov est habité par une confiance aveugle en lui et en son pouvoir, ce qui le conduit à considérer comme un devoir la création de nouvelles valeurs sinon de nouveaux systèmes sociaux. Sans aller tout à fait jusque-là, Lafcadio l’anticonformiste, le bâtard, remet en question les valeurs traditionnelles et les institutions comme la famille.

Le crime commis par Lafcadio n’est pas sans analogie non plus avec celui que commet Raskolnikov. Quand Raskolnikov prend conscience des tragédies humaines engendrées par la vieille usurière, il se faufile dans la maison de cette dernière et l’assassine : le meurtre commis par Raskolnikov n’est donc pas déterminé par l’appât du gain. Dans Les Caves du Vatican, la situation est un peu différente, dans la mesure où son acte est immotivé et désintéressé, car même si la victime, Amédée Fleurissoire, apparaît totalement soumise aux conventions sociales, ce dernier est un inconnu pour Lafcadio au moment où celui-ci décide de passer à l’acte. Le point commun entre les deux situations et les deux personnages, c’est que le crime est pour chacun d’entre eux un moyen de s’affirmer, en se démontrant à eux-mêmes leur capacité à commettre un tel acte. De même, après leur crime, Raskolnikov et Lafcadio tombent dans un vide, une désespérance et un dégoût de vivre qu’ils ne peuvent plus surmonter. Gide propose ainsi une réflexion sur les limites de l’action humaine. Ces deux criminels ne sortent de leurs rêves ténébreux qu’à travers l’amour de deux âmes tendres. Sous l’influence bénéfique de la prostituée Sonia, Raskolnikov se dénonce à la police et retrouve sa liberté dans la prison. Dans Les Caves du Vatican, c’est Geneviève qui peut jouer ce rôle en aidant Lafcadio à se rédimer, même si, après la nuit passée avec Geneviève, il choisit de fuir et poursuivre sa vie aventureuse.

En dépit de certains échos entre les deux livres et entre les deux personnages, Lafcadio n’est donc nullement une reproduction du personnage de de Dostoïevski. Le personnage créé par Gide lui permet de poursuivre sa propre réflexion, en posant à travers la représentation du crime gratuit une question philosophique, mais aussi morale et esthétique : l’écriture est en effet à ses yeux un acte libre, l’artiste pouvant dans son œuvre, et grâce à elle, explorer de vastes terrains inconnus et manifester tous les aspects de la vie, ce qu’il fait avec son personnage de Lafcadio.

Tong YU

 

Bibliographie raisonnée :

Goulet, Alain, Les Caves du Vatican d’André Gide, étude méthodologique, Paris, Larousse université, 1972, en particulier p. 59-64.

Niemeyer, Carl, « Raskolnikov and Lafcadio », Modern Fiction Studies, 1958, n° 3, p. 253-261.

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Vous trouverez en bas de cette page plusieurs ressources critiques en ligne sur cette oeuvre. Elles figurent en couleur.

 

Masson Pierre, « Gide, homme libre. », Bulletin des Amis d'André Gide, n°133, janvier 2002, p. 33-44.

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Le site du CEG a été réalisé grâce au soutien de la Fondation Catherine Gide, avec la participation de l’Association des Amis d’André Gide. Il a été réalisé en partenariat avec Martine Sagaert, responsable du site originel andre-gide.fr, créé en 2006 avec des étudiant.e.s de l'I.U.T. des Métiers du Livre de Bordeaux.