Un Centre dédié à la recherche sur André Gide

Le Centre d’Études Gidiennes a vocation à coordonner l'activité scientifique autour de Gide, diffuser les informations relatives aux manifestations gidiennes et à rendre visibles et accessibles les études qui lui sont consacrées.
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Stephanie Bertrand Jean-Michel Wittmann
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 Pirandello cite Gide une seule fois, dans une lettre du 2 août 1930 adressée à sa muse Marta Abba qui lui avait demandé un jugement sur l’Annonce faite à Marie de Claudel. Le dramaturge italien répond qu’il n’aime pas la pièce et que, même si Claudel « [a]vec Gide, c’est le plus grand nom de la littérature française contemporaine : toutefois, il existe une différence à [s]on avis : André Gide est encore vivant dans le monde de l’art, tandis que [Claudel], il est déjà mort et enterré depuis quelque temps ». Gide, pour sa part, avait affirmé dans une enquête sur la littérature italienne, probablement au début de sa carrière : « Pirandello, ne connais rien de lui », préférant citer les classiques, Dante surtout, le bien-aimé Leopardi, Carducci, qu’il estimait beaucoup, et D’Annunzio quoiqu’il n’appréciât ni son style, ni son tempérament. Par la suite, Gide n’a toutefois pas ignoré Pirandello et en dépit de cet étrange silence, certains indices prouvent qu’il y a bien eu une relation, ou au moins un commerce littéraire, entre Gide et Pirandello.

Une relation de visu ? Peut-être. Un commerce livresque et littéraire, sans aucun doute. Certes, dès 1931, Pirandello reçoit de la part de l’auteur français une copie d’Œdipe qui se trouve dans sa bibliothèque répertoriée, où figurent aussi quelques-uns des livres de Gide (La Symphonie pastorale ; Morceaux choisis ; Les Caves du Vatican). De plus, la copie d’Œdipe porte la dédicace : « À Luigi Pirandello en cordial et bien attentif hommage, André Gide ». Or, la pièce gidienne renvoie à un premier lien entre les deux : les Pitoëff, amis des deux auteurs, engagés dans les représentations d’Œdipe et interprètes des plus grands succès parisiens de Pirandello.

Quant à la bibliothèque de Gide, elle arbore deux volumes (remontant à 1925 et à 1928) de Masques nus de Pirandello, traduits pour les éditions de la NRF par Benjamin Crémieux et Marie Anne Comnène. Et c’est justement le nom de(s) Crémieux qui devrait être le point de contact nodal entre les deux auteurs. Collaborateur de la NRF, italianisant, principal médiateur de Pirandello en France, lié aux deux écrivains, c’est celui qui insiste le plus sur une comparaison entre l’écriture de Gide et celle de Pirandello (dans Le Capitole en 1928 et dans Candide en 1934), une intuition étayée par une longue liste d’auteurs-passeurs que les deux lisent et méditent à la même époque : Dante, Cervantès, Shakespeare, Montaigne, Pascal, Goethe, Dostoïevski, Carlyle, Unamuno et beaucoup d’autres.

C’est aussi le foisonnant contexte artistique et culturel du Paris des années vingt et trente, entre intellectuels, femmes salonnières, comédiens, comédiennes, dramaturges et metteurs en scène, amis et ennemis, impossibles à énumérer ici, qui recèle un réseau bien serré de liens franco-italiens convergeant vers les deux auteurs, dont une bonne partie participent à la promotion de Pirandello à Paris. L’auteur sicilien, quant à lui, fréquente la capitale française de plus en plus assidûment depuis 1923 et jusqu’à la fin de sa vie (1936), y vivant pendant de longues périodes, surtout entre 1931 et 1935. En particulier, le témoignage de Paola Masino, grande amie et disciple du Maître, est intéressant. Dans une lettre de 1929 depuis Paris à ses parents elle écrit : « Ce soir, je vais chez les Crémieux, où il y a un dîner en hommage à Pirandello, il y aura Gide, Valery [sic], et tous les grands noms de la littérature française ». Benjamin Crémieux, secrétaire à l’époque du PEN Club français, confirme son rôle de lien entre les deux écrivains.

Enfin, après la mort de Gide, dans un hommage italien au Prix Nobel français paru dans La Fiera letteraria, en mars 1951, Pasquale Marino Piazzolla rapporte le contenu de quelques entretiens avec Gide qui ont eu lieu à la fin des années trente, au domicile de ce dernier, rue Vaneau. En fait, s’exprimant au sujet de la littérature italienne, Gide aurait affirmé :

"En ce qui concerne Pirandello, par contre, j’accepte sa sincérité et son engagement pathétique quand il s’exprime à travers la foule de ses personnages, auxquels le destin semble avoir atrophié toute possibilité de vie. Je connais de lui mieux le théâtre que les nouvelles. Même dans la conversation Pirandello se montre pensif et préoccupé. Il continue peut-être de rêver avec ses créatures parce que, tout en conversant, il abandonne dans son discours des jugements déconcertants. C’est un auteur décidément très humain et ce que j’aime chez lui, c’est cette amertume qui ne le distancie jamais des situations les plus paradoxales et parfois si réussies sur la scène."

La connaissance de Pirandello par Gide est donc avérée. Qu’elle ait été directe ou, en grande partie, indirecte, certaines œuvres gidiennes, telles que L’Art bitraire, Le Grincheux, Ainsi soit-il ou Les jeux sont faits, mais aussi Le Retour, Les Caves, Les Faux-Monnayeurs, le triptyque de L’École des femmes, laissent entrevoir, surtout en ce qui concerne le concept et l’emploi de l’humorisme, le thème du masque dans toutes ses réalisations, certains personnages féminins et la conception de la vie comme un théâtre de marionnettes que le personnage de La Pérouse, éminemment « pirandellien », semble bien incarner.

Marco Longo

BIBLIOGRAPHIE RAISONNÉE

Études critiques

Barbina Alfredo, La Biblioteca di Luigi Pirandello, Roma, Bulzoni, 1980.

Cioce Antonella, Realtà romanzesca e dissimulazione ironica. Luigi Pirandello e André Gide, Ariccia-RM, Aracne editore, 2006.

Frabetti Anna, Le Magicien italien. Luigi Pirandello et le théâtre français dans les années vingt et trente, Lausanne, L’Âge d’Homme, 2010.

Pirandello Luigi, Lettere a Marta Abba, a cura di Benito Ortolani, Milano, Mondadori, 1995.

Pollard Patrick, Répertoire des lectures d’André Gide III : DIVERS, Londres, Birkbeck College avec la collaboration de gidiana.net, 2006.

La Biblioteca di Luigi Pirandello. Dediche d’autore, a cura di Saponaro Dina e Torsello Lucia, presentazione di Angelini Franca, Roma, Bulzoni, 2015.

Articles critiques

Piazzolla Pasquale Marino, « Amore di Gide alle lettere italiane », La Fiera letteraria, anno VI, n. 9, 5 marzo 1951.

Sica Beatrice, « Parigi 1929-1931 e oltre », dans Paola Masino, a cura di Beatrice Manetti, Milano, Fondazione Arnoldo e Alberto Mondadori, 2016.

Sitographie

https://www.fondation-catherine-gide.org/bibliotheque-gide-rouen/catalogue

Le site du CEG a été réalisé grâce au soutien de la Fondation Catherine Gide, avec la participation de l’Association des Amis d’André Gide. Il a été réalisé en partenariat avec Martine Sagaert, responsable du site originel andre-gide.fr, créé en 2006 avec des étudiant.e.s de l'I.U.T. des Métiers du Livre de Bordeaux.