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Commençons par résumer Isabelle (1911) : le premier narrateur – celui du récit-cadre – évoque une excursion qu’il fit, en août 18.., au château de la Quartfourche, en compagnie de Francis Jammes et de Gérard Lacase. Ce récit enchâssant, cependant, n’est que l’occasion de mettre le lecteur sur la piste de l’activité critique qu’il devra exercer s’il veut saisir l’enjeu du récit – à savoir la dénonciation de « l’illusion pathétique » (c’est là le sous-titre auquel Gide songeait pour Isabelle). C’est le récit de Gérard Lacase qui occupera tout le livre ou presque : mais, auparavant, il faut que Lacase indique à ses futurs auditeurs (ou plutôt, il faut que Gide indique à ses lecteurs) que l’histoire qu’il va conter est celle de la déconvenue d’un homme à l’imagination par trop portée au romanesque.
Gérard Lacase, donc, raconte un séjour qu’il fit à la Quartfourche afin de consulter des documents qui devaient l’aider à terminer sa thèse sur « la chronologie des sermons de Bossuet » (coll. Bibliothèque de la Pléiade, p. 919). Mais les papiers que lui fournit le bon M. Floche, qui l’accueille à la Quartfourche, l’intéressent bien moins qu’un portrait dont il tombe amoureux : c’est celui d’Isabelle, nièce des Floche, fille des Saint-Auréol (les propriétaires désargentés du château), et mère du petit boiteux Casimir. Isabelle l’insaisissable, Isabelle la répudiée, Isabelle la mère sans époux réapparaît de temps à autre, nocturnement, quand elle manque d’argent. Il n’en faut pas plus pour que l’imagination de Gérard Lacase s’enflamme à la suite de son cœur. Il prend le parti de l’aventureuse, de l’exclue… avant de la rencontrer et de la découvrir pour ce qu’elle est : une créature bassement sensuelle et trivialement sensible, qui a fait assassiner son amant et qui n’éprouve aucune affection pour son fils.
Isabelle est donc le récit d’une déception… et c’est un récit qui déçut plus d’un lecteur. Le personnage principal n’en est pas la médiocre créature éponyme, mais bien Gérard Lacase – ou peut-être l’Isabelle romanesque-romantique qui naît dans et de l’imagination de Lacase. Isabelle, donc, annonce le thème du faux qui s’imposera dans Les Caves du Vatican (1914), avec la figure du pape imposteur, ou plutôt du faux pape imposteur, puis, bien sûr, dans Les Faux-Monnayeurs (1925). Mais le récit lui-même est trompeur : faux récit d’enquête, il dérouta certains lecteurs, à qui l’histoire semblait promettre plus de rebondissements, plus de mystère(s), plus d’aventures aussi.
Gide, de son côté, jugeait son livre abouti. C’est pourtant, parmi ses œuvres narratives, celle qui s’est le moins impérieusement imposée à lui : Isabelle fut pour lui un exercice plutôt qu’une œuvre nécessaire. Il porta néanmoins longtemps le récit en lui. Dès 1889, il confie à son Journal vouloir donner un récit où il s’inspirerait des familles Floquet et Saint-Alban, qui possèdent le château de Formentin, près de La Roque. Il parle alors d’écrire une sorte de nouvelle « à la Tourgueniev » (Journal, t. I, 19 mars 1889) ; et dès 1893, il rédige, dans une lettre à Henri de Régnier, une première ébauche d’Isabelle – ébauche où il « pastiche » le style de celui à qui il écrit (David H. Walker, notice, p. 1448).
Mais ce n’est là qu’un premier jet ; et ce n’est que plus de quinze ans plus tard que Gide reprendra sérieusement ce projet. Après avoir mis le point final à La Porte étroite à l’automne 1908, il décide de s’atteler à la rédaction d’un livre qui lui tient à cœur, et dont il juge que le moment est venu de le mener à bien : Corydon. Mais Marcel Drouin ne se montre guère enthousiaste – et c’est sous l’influence de son beau-frère que Gide revient à ce qui deviendra Isabelle. Il en entame (ou en reprend, si l’on considère la lettre de 1893 comme un premier état du récit) la rédaction en 1910, tout en poursuivant celle de Corydon : les deux livres seront d’ailleurs achevés d’imprimer à une semaine d’intervalle. Isabelle paraît d’abord dans La NRF de janvier, février et mars 1911. Le récit est ensuite publié aux Éditions de La NRF : il est dédié à André Ruyters à partir du tirage marqué « 4e édition » (David H. Walker, notice, p. 1460).
Signalons pour finir que Jean-Paul Roux a fait d’Isabelle un téléfilm, diffusé en 1970 sur la deuxième chaîne de l’ORTF.
Bibliographie raisonnée
Éditions
Isabelle, édition de David H. Walker, in Romans et récits. Œuvres lyriques et dramatiques, vol. I, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 2009 (texte p. 913-992, notice p. 1447‑1459).
André Gide, Pierre Herbart. Le Scénario d’Isabelle, édition de Cameron D. E. Tolton (éd).,Paris, Minard, 1996.
Dossier de presse
Le dossier de presse d’Isabelle est partiellement disponible sur gidiana.
On pourra également consulter les numéros 35 (juillet 1977, p. 50‑56), 39 (juillet 1978, p. 75‑79), 42 (avril 1979, p. 89‑90), 46 (avril 1980, p. 229‑235), 47 (juillet 1980, p. 412‑415), 62 (avril 1984, p. 289) et 176 (octobre 2012, p. 401‑408) du Bulletin des Amis d'André Gide.
Études critiques
« Isabelle à la télévision », Bulletin des Amis d'André Gide, n° 7, avril 1970, p. 10.
« Isabelle, “réussite” ignorée », numéro spécial du Bulletin des Amis d'André Gide, n°s 86-87, avril-juillet 1990.
Armsby Leslie Garnett, « Analyse sémiotique d’un récit d’André Gide : Isabelle », thèse de doctorat, University of Virginia, 1983.
Biriouk Sylvie Marie, « Les fonctions de l’image dans les récits d’André Gide : L’Immoraliste, La Porte étroite, Isabelle, La Symphonie pastorale », mémoire de maîtrise, Université Paris-Est Créteil Val de Marne, 1984.
Cancalon Elaine D., « Isabelle : œuvre de transition », Australian Journal of French Studies, volume 24, n° 2, mai-août 1987, p. 193-204.
Doucette Clarice Marie, « Inside the Flickering Flame : Suspense in Wilkie Collin’s The Woman in White, Gide’s Isabelle, and Robbe-Grillet’s Le Voyeur », thèse de doctorat, Washington University, 1991.
Haffter Pierre, Isabelle de Saint-Auréol. An Examination of André Gide’s Isabelle and Francis Jammes’ « Élégie quatrième » in Le Deuil des primevères and their Relation to the Life of I. de Saint-Auréol, Pretoria, Mededelings van die Universiteit van Suid-Afrika, 1961.
Horn Pierre L., « Isabelle : a Detective Novel by André Gide », Romance Notes, volume 18, n° 1, automne 1977, p. 54‑61.
Lacour Jean-Michel, « Le thème de la mort dans trois romans d’André Gide : La Porte étroite, Isabelle, La Symphonie pastorale », mémoire de maîtrise, Université de Dijon, 1991.
Lefebvre Jean, Isabelle von André Gide : oder die Überwindung des verräumlichten Lebens, Essen, Die Blaue Eule, 1987.
Menin Marco, « André Gide : passione e illusione in Isabelle »
Nobécourt René‑Gustave, « À la recherche d’Isabelle », Les Nourritures normandes d’André Gide, Paris, Éditions Médicis, 1949, p. 120‑181.
Pénault Pierre-Jean, À propos d’Isabelle, Blainville-sur-Mer, L’Amitié par le Livre, 1964.
Rohner Ruth, « Le problème du végétal dans La Porte étroite et dans Isabelle d’André Gide », mémoire de licence, Université de Zürich, 1984.
Sheridan Alan, « The “New” Gide and the Founding of the NRF : Isabelle and Les Caves du Vatican (October 1908‑August 1914) », André Gide : a Life in the Present, Cambridge, Harvard University Press, 1999, p. 233‑279.
Svane Brynja, « L’histoire d’Isabelle. Les techniques de narration d’André Gide », dans Jørgen Moestrup et Gerhard Boysen (éds.), Études de linguistique et de littérature dédiées à Morten Nöjgaard, Odense, Odense University, 1999, p. 569-586.
Tilby Michael, « Gide et le désordre du récit : fiction et botanique dans Isabelle », Bulletin des Amis d'André Gide, n°s 131-132, juillet-octobre 2001, p. 523‑549.
Tolton Cameron D. E., « A Lost Screenplay Unearthed : André Gide’s Isabelle », The Modern Language Review, volume 88, n° 1, janvier 1993, p. 84‑90.
Voegele Augustin, « Isabelle d’André Gide : histoire d’un accident maquillé en meurtre », Intercripol.org, 2019.
Von Stackelberg Jürgen, « Aufbruch und Wiederkehr : Zur Stellung von Isabelle im Werk André Gides », Archiv für das Studium der Neueren Sprachen und Literaturen, volume 248, n° 1, 2011, p. 136-142.