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Le point de départ aurait été la lecture du Grillon du foyer de Dickens, racontant le mensonge d’un père entretenant sa fille aveugle dans l’illusion qu’ils sont riches. À cette question de l’aveuglement consenti, et de l’envie d’ouvrir les yeux à ses victimes, allait s’ajouter un second problème, dans la mesure où, pour Gide, la question du bonheur n’était pas seulement liée à celle de la lucidité, mais dépendait aussi de la morale et de la religion dans laquelle il avait été habitué à l’entendre formuler. Dans ses mémoires, il raconte comment, rebuté par les dogmes étouffants du catholicisme comme du protestantisme, il avait privilégié un contact direct avec les textes sacrés, liant l’épanouissement du sentiment religieux et du sentiment amoureux (SV, 222).
À cette ancienne question de l’aveuglement spirituel s’ajoutent d’autres éléments plus anecdotiques qui vont permettre au problème théorique de se transformer en matière narrative. Par exemple, Gide projetait d’écrire l’histoire d’un pasteur et de sa vie familiale étouffante. D’autre part, dans ses mémoires qu’il venait d’écrire, il racontait la naissance de son amour pour sa cousine dans des termes qu’il allait reprendre pour les prêter à son pasteur.
Depuis 1893, Gide avait eu connaissance d’histoires d’aveugles selon divers témoignages : Dickens déjà s’appuyait sur l’histoire de Laura Bridgman ; en 1898 s’était répandue l’histoire d’Helen Keller, autre aveugle sourde-muette qui avait réussi à être éduquée. Ces éléments pris à la réalité ne fournirent pas seulement à Gide des détails crédibles, mais aussi une part du problème posé par son roman ; on y assiste en effet, centrée sur le pasteur, à la confrontation entre idéalisme et réalisme, entre le désir de s’échapper vers l’abstraction euphorisante de l’Évangile, et l’obligation de tenir compte des données du réel, par exemple de la réalité physique de Gertrude, femme à la fois désirable et désirante.
En février 1918, Gide se met enfin au travail avec un sentiment d’urgence, parce que ce projet très ancien coïncide pour lui avec un double sentiment de renouveau : sur le plan collectif, il s’agit de la fin de la guerre qui laisse entrevoir une ère nouvelle ; sur le plan individuel, c’est son amour pour Marc Allégret qui, depuis un an, l’a régénéré, tout en lui imposant une responsabilité nouvelle. L’enthousiasme du pasteur, son désir de vivre sans contraintes, ses soucis d’éducateur, ce sont aussi les siens.
Ce sentiment d’urgence se trouve accentué par le désir de terminer son livre avant son départ pour l’Angleterre en compagnie de Marc. Mais ce n’est qu’à son retour qu’il pourra écrire la seconde partie de ce qui s’appelle désormais La Symphonie pastorale, montrant bien le glissement qui s’est opéré de l’aveugle au pasteur, Gertrude devenant la victime d’un drame dont le principal responsable est le pasteur.
Bibliographie raisonnée
Éditions
La Symphonie pastorale, éd. Pierre Masson, in Romans et récits. Œuvres lyriques et dramatiques, vol. II, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 2009 (texte p. 1-56, notice, note sur le texte, notes p. 1141-1162).
Études critiques
Ahmed Mahmod Mahmod, « L'espace révélateur dans La Symphonie pastorale. », Bulletin des Amis d'André Gide, n°179/180, juillet-octobre, p. 137-146.
Dambre Marc, « La Symphonie pastorale » d’André Gide, Paris, Gallimard, coll. Foliothèque, 1991.
L. Kaplan Carol, « Peinture et écriture, le mythe d'Orion dans La Symphonie pastorale. », Bulletin des Amis d'André Gide, n° 137, janvier 2003, p. 21-28.
Mathieu Pierre, « Composition souterraine de La Symphonie pastorale. », Bulletin des Amis d'André Gide, n°185/186, janvier-avril 2015, p. 49-62.
Mathieu Pierre, « La Symphonie pastorale, de Gide à Delannoy. », Bulletin des Amis d'André Gide, n°199/200, automne 2018, p. 187-200.
Maillet Henri, « La Symphonie pastorale » d’André Gide, Paris, Hachette, 1975.
Martin Claude, André Gide, « La Symphonie pastorale », Paris, Lettres modernes, 1970.
Saggiomo Carmen, « Les Caves du Vatican en Italie : Cent ans d'investigation. », Bulletin des Amis d'André Gide, n°185/186, janvier-avril 2015, p. 63-136.