Vous trouverez en bas de cette page plusieurs ressources critiques en ligne sur cette oeuvre. Elles figurent en couleur.
Gide rattache l’origine de ce roman à la mort d’Anna Shackleton, survenue en mai 1884 ; autour de cet événement se greffaient apparemment le remords de ne pas avoir su entourer Anna à ses dernières heures, et l’idée que pour elle cette approche avait été une épreuve. Ce projet, plus tard, se compléta, Gide notant, lui qui venait de découvrir en Algérie une nouvelle manière d’adorer le Créateur : « Possibilité de détresse : l’âme qui croit avoir mal adoré (Mort de Mlle Claire) » (J1, 184).
Après plusieurs faux départs, il entreprend son récit en 1906, l’appelant désormais La Porte étroite, ayant trouvé l’image capitale autour de laquelle va s’organiser le drame. Dans cette version apparaît la mère d’Alissa, figure ambiguë, presque autant victime que bourreau de son mari. Pour dépeindre ses héros, Gide relit ses lettres à Madeleine, et le journal que celle-ci tenait en 1891, dont il reversera des passages dans le journal d’Alissa. Au printemps, il écrit le premier chapitre, consacré pour l’essentiel à la description du jardin de Cuverville, qui deviendra Fongueusemare. À nouveau interrompu, il ne se relance qu’en juin 1907 ; après un essai de récit objectif, il revient à une narration à la première personne qui lui permet d’investir son héros-narrateur de sentiments avec lesquels lui-même veut prendre ses distances.
Le roman s’organise ainsi comme une machine infernale : tout part de Lucile, la mère d’Alissa, présentée comme la coupable idéale. De son infidélité résultent l’horreur de sa fille pour une sensualité dont elle a cependant hérité, et l’exaltation mystique de Jérôme. À partir de là, le roman s’organise en une série de mouvements pendulaires, Jérôme ne cessant de revenir auprès d’Alissa, et de la fuir peu après, chassé autant par lui-même que par elle. Si l’on est amené à comprendre qu’Alissa se connaît mal, et que son drame consiste à découvrir trop tard que sa nature la porte vers un hédonisme dont sa foi l’a frustrée, on doit aussi se méfier de Jérôme, qui ne se plie à la règle dont il attribue la rigueur à Alissa, que parce qu’elle l’arrange obscurément. Et du même coup le lecteur est invité à se défier d’un récit effectué pour l’essentiel par ce personnage ambigu. Toute La Porte étroite est à considérer comme la confrontation de deux consciences en partie volontairement aveugles sur elles-mêmes, et donc forcément sur autrui.
L’investissement autobiographique n’a pas seulement permis à Gide de faire vivre ses personnages, mais aussi de faire mourir en lui certains interdits. C’est cet enjeu qui l’a contraint à enfermer dans la forme la plus impeccable des problèmes pour lui aussi brûlants. Ce livre, autant qu’il lui permettait d’avancer dans la libération de soi, le posait en champion du classicisme qu’on érigeait à cette époque en modèle absolu, et dont La NRF qu’il fondait alors avec ses amis allait se proclamer la servante zélée.
Bibliographie raisonnée
Éditions
La Porte étroite, éd. Pierre Masson, in Romans et récits. Œuvres lyriques et dramatiques, vol. I, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 2009 (texte p. 809-912, notice, note sur le texte, notes p. 1425-1477).
Dossier de presse
Lionnet Jean, Pilon Edmond, Canydo Ricciotto.
Études critiques
Lévy Zvi, Les structures dramatiques et les procédures narratives de « La Porte étroite », Nizet, 1984.
Wégimont Marie, Regard et parole dans « La Porte étroite » d’André Gide, Lyon, Centre d’études gidiennes, 1994.
Articles critiques
Cazentre Thomas, « Les comédiens sans le savoir : l'inconscient dramatique dans La Porte étroite », Bulletin des Amis d'André Gide, n°141, janvier 2004, n°145, p. 7-30.
Lionnet Jean, « Lecteur de L'Immoraliste et de La Porte étroite. », Bulletin des Amis d'André Gide, n°133, janvier 2002, p. 31-32.
L. Kaplan Carol, « Peindre le portrait d'Alissa : Gide en train de "lire" Amour de Maurice Denis. », Bulletin des Amis d'André Gide, n°166, avril 2010, p. 189-204.
Masson Pierre, « Les brouillons de La Porte étroite. », Bulletin des Amis d'André Gide, n° 148, octobre 2005, p. 471-510.
Sonnenfeld Albert, « Baudelaire et Gide : La Porte étroite », La Table ronde, mai 1967, p. 79-90.
Steel David, « Antécédents gidien. Mathilde Rondeaux : Lucile Bucolin. Mythe d'une naissance, naissance d'un mythe. », Bulletin des Amis d'André Gide, janvier 2005, p. 7-22.