Vous trouverez en bas de cette page plusieurs ressources critiques en ligne sur cette œuvre. Elles figurent en couleur.
Ce livre est à la fois marginal et essentiel dans l’ensemble des œuvres de Gide. Il devait être, selon ses termes, son « premier livre » et sa « Somme ». Cette ambition s’explique par l’âge et la situation de son auteur : à vingt ans, Gide était épris d’un amour mystique pour sa cousine Madeleine ; il était aussi, nourri à la fois de la Bible et de l’idéal symboliste, hanté par l’ambition de conquérir l’immortalité de l’artiste qui s’apparentait pour lui à la vie éternelle. Enfin, il lui fallait donner un sens à ce qui constituait pour lui une impasse, à savoir la dichotomie entre son amour et ses désirs, la femme aimée lui apparaissant simultanément comme un recours nécessaire et une tentation honteuse. Il devait donc à la fois poser un but, et le montrer inaccessible ; aussi la solution de la mise en abyme, qu’il théoriserait peu après, s’imposait d’elle-même : non pas dire l’amour, mais montrer un héros s’efforçant de le dire et, tout en le sacrifiant, donner au récit de ses efforts la perfection d’une œuvre accomplie. Il va ainsi imaginer un porte-parole, André Walter, acharné à écrire lui-même l’histoire d’un alter ego, Allain, que son déchirement entre chair et idéal spirituel mène à la folie, Walter mourant à son tour en laissant un roman dont on ne nous livre que les cahiers préparatoires.
Le 8 mai 1890, au moment de se mettre au travail, Gide se trace donc ce programme : « Il faut faire Allain. Examen d’André Walter. […] Dire, pour André Walter, l’absence de conclusion qui déroute. […] Il faut croire que c’est dans l’absolu que l’on travaille. » En juin, il s’installe pour un mois à Menthon-Saint-Bernard. Début juillet, sa première partie presque achevée, il revient à La Roque, où la seconde partie est achevée le 17 septembre. Le travail de reprise se prolonge, au cours duquel, sur les conseils de son cousin Albert Démarets, Gide supprime les deux tiers des citations bibliques. Du livre, imprimé chez Perrin, il reçoit les premiers exemplaires le 27 décembre. Il en offre un à Madeleine le 1er janvier mais, contrairement à son espoir, celle-ci va maintenir son refus de l’épouser. Dans le même temps, Gide prépare une seconde édition, plus luxueuse, pour la Librairie de l’Art indépendant. Selon les affirmations ultérieures de Gide, l’édition Perrin était tellement fautive qu’il décida de la mettre au pilon. Il n’empêche que c’est chez Perrin que Barrès, feuilletant un exemplaire de ce livre, voulut faire la connaissance de Gide, et le présenter deux jours plus tard à Mallarmé au cours du banquet offert à Moréas. La fortune littéraire de Gide commençait. Il avait atteint, au moins partiellement, son but. Mais désormais il allait inverser sa tactique, et faire de chacun de ses livres suivants la critique de toute prétention à faire œuvre définitive. Ce n’est pas par hasard si, dans Les Faux-Monnayeurs, on voit Édouard, romancier raté, se rendre chez Perrin pour « la réédition de [s]on vieux livre »…
Vous trouverez en bas de cette page plusieurs ressources critiques en ligne sur cette œuvre. Elles figurent en couleur.
Bibliographie raisonnée
Geerts Walter, Le Silence sonore. La poétique du premier Gide, Namur, P. U. de Namur, 1992.
Marty Éric, « La première fiction de Gide », Poétique, n° 72, 1987, p. 463-482.
Masson Pierre, « Tableaux d'une exaspération. Sur une édition illustrée des Poésies d'André Walter. », Bulletin des Amis d'André Gide, n°165, janvier 2010, p. 137-142.
Wittmann Jean-Michel, « Une épiphanie de l’artiste : la lutte avec l’ange dans Les Cahiers d’André Walter »,Bulletin des Amis d'André Gide, n° 110-111, juillet 1996, p. 167-176.