Un Centre dédié à la recherche sur André Gide

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Stephanie Bertrand Jean-Michel Wittmann
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Vous trouverez en bas de cette page plusieurs ressources critiques en ligne sur cette oeuvre. Elles figurent en couleur.

 

C’est en 1903, au Mercure de France, que Gide publie Prétextes, où il réunit quelques-uns des textes qu’il a publiés depuis 1898. Le volume porte bien son nom : car la critique, si Gide la pratique comme un art (on connaît le paradoxe wildien cher à Gide : « L’imagination imite, l’esprit critique crée ! »), est avant tout pour l’écrivain un prétexte pour définir les contours de sa propre esthétique, et même parfois de sa propre personnalité. Le sous-titre, d’ailleurs, est révélateur, surtout sous la plume de l’auteur de L’Immoraliste : Réflexions sur quelques points de littérature et de morale.

Jetons un œil sur le sommaire. Gide reprend pour commencer deux conférences : « De l’influence en littérature », prononcée à Bruxelles le 29 mars 1900, et « Les Limites de l’art », « préparée pour l’exposition des Artistes indépendants » de 1901, mais que Gide ne prononça pas. Dans la première, c’est une politique de la littérature qu’il propose : il s’interroge en creux, et sans aucune prétention à l’autorité, sur son propre statut de (potentiel) grand écrivain. Dans la seconde, ce sont les fondements mêmes de son esthétique que Gide expose : l’art naît de ses limites, et vit de les repousser…

Suivent trois textes relatifs, de près ou de loin, à Barrès : « À propos des Déracinés » (L’Ermitage, février 1898), « La Querelle du peuplier » (L’Ermitage, novembre 1903) et « La Normandie et le Bas-Languedoc » (L’Occident, novembre 1902). Gide s’y peint en déraciné, et c’est de l’écrivain presque plus que de la littérature qu’il est question.

Viennent ensuite les « Lettres à Angèle » (L’Ermitage, 1898‑1900), dont Gide modifie la structure au moment de les reprendre dans Prétextes. Les titres des lettres (« I. Mirbeau, Curel, Hauptmann » ; « II. Signoret, Jammes » ; « III. Les naturistes » ; « IV. Barrès, Maeterlinck » ; « V. Verhaeren, Pierre Louÿs » ; « VI. Stevenson et du nationalisme en littérature » ; « VII. De quelques récentes idolâtries » ; « VIII. Sada Yacco » ; « IX. De quelques jeunes gens du Midi » ; « X. Les Mille Nuits et Une Nuit du Dr Mardrus » ; « XI. Max Stirner et l’individualisme » ; « XII. Nietzsche ») font presque attendre une galerie de portraits, un peu à la façon du Livre des masques de Gourmont… Mais Gide n’est pas Gourmont, et il s’attache avant tout à démasquer les écrivains qu’il lit – ceux qu’il admire et qu’il envie, comme Signoret et Jammes, aussi bien que ceux qu’il méprise, comme Stirner.

La section suivante, intitulée « Quelques livres », réunit des comptes rendus parus en 1900 dans La Revue blanche. Gide y parle des Histoire souveraines de Villiers de l’Isle-Adam, du Livre du petit gendelettre de Maurice Léon, de L’Ennemie des rêves de Camille Mauclair, de La Double Maîtresse d’Henri de Régnier, du Livre des Mille Nuits et Une Nuit et de La Route noire de Saint-Georges de Bouhélier (1900). Curieusement, c’est une « Lettre à M. Saint-Georges de Bouhélier » qui clôt la section. C’est un Gide capable de férocité comme d’admiration qui s’exprime dans ces textes. Mais c’est surtout un Gide profondément ambigu que l’on découvre : à l’évidence, il est en proie à la tentation de la théorie, mais il se refuse à pratiquer une parole sentencieuse. Dès qu’il se risque à donner un aphorisme, il recourt à l’épanorthose pour affaiblir sa propre autorité de théoricien : « L’art suprême supplante l’inexistante réalité », écrit-il à propos de Villiers de l’Isle-Adam ; mais immédiatement il ajoute que cet art suprême n’est « qu’une admirable et éblouissante imposture ».

L’avant-dernière section est présentée comme un « supplément » : y sont repris quatre textes (tous parus dans L’Ermitage de décembre 1901) sur Almaïde d’Étremont de Francis Jammes, La Tragédie du nouveau Christ de Saint-Georges de Bouhélier, Figures et caractères et Les Amants singuliers d’Henri de Régnier, et Les Vingt et Un Jours d’un neurasthénique d’Octave Mirbeau.

Enfin, pour clore le recueil, Gide rassemble, sous le titre « In memoriam », trois tombeaux critiques : celui de Mallarmé (L’Ermitage, octobre 1898), celui d’Emmanuel Signoret (L’Ermitage, mars 1901) et celui d’Oscar Wilde (L’Ermitage, juin 1902). Son hommage à l’insolent dandy est particulièrement intéressant, et ce pas uniquement parce qu’il était courageux à l’époque de prendre la défense du martyr homosexuel que fut Wilde : ce qui retient l’attention, c’est que Gide s’abrite derrière la figure de Wilde pour se comporter en théoricien de l’art. Rapportant certains de ses dialogues avec l’écrivain irlandais, il prête, selon un procédé qui lui est cher, certaines de ses idées à son interlocuteur, ce qui lui permet de risquer des hypothèses qu’il n’oserait s’attribuer à lui-même. Ne citons qu’un exemple, particulièrement significatif : « L’œuvre d’art est toujours unique. La nature […] se répète toujours ».

On signalera pour terminer qu’à l’exception du petit essai sur « La Normandie et le Bas-Languedoc », repris dans le volume des Souvenirs et voyages, tous les textes recueillis dans Prétextes sont disponibles dans l’édition Pléiade (1999) des Essais critiques.

 

Augustin Voegele

 

Bibliographie raisonnée

« Le Dossier de presse de Prétextes : Jean de Gourmont », dans Bulletin des Amis d’André Gide, no 117, janvier 1998, p. 142‑144.

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Le site du CEG a été réalisé grâce au soutien de la Fondation Catherine Gide, avec la participation de l’Association des Amis d’André Gide. Il a été réalisé en partenariat avec Martine Sagaert, responsable du site originel andre-gide.fr, créé en 2006 avec des étudiant.e.s de l'I.U.T. des Métiers du Livre de Bordeaux.