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Commençons par résumer l’affabulation de Bethsabé (1902‑1908). Bethsabé est l’épouse du Hétien Urie, dont David se considère comme le débiteur : en effet, ce vaillant soldat, à plusieurs reprises, a risqué sa vie pour le roi. David souhaite recevoir Urie, mais ce dernier se refuse à pénétrer dans le palais avant que la ville de Rabba ne soit prise. C’est donc le soldat qui reçoit le roi, dans son petit jardin aménagé « dans le creux des murailles » du palais. Et là, dans cet humble abri, la reconnaissance du roi se transforme en envie : David comprend que le dénuement dans lequel vit Urie pourrait bien être préférable au pouvoir et au faste. Il cède alors, sans l’assouvir, à son violent désir de dépouillement : il prend Bethsabé, la femme d’Urie, mais se rend compte que ce n’est pas elle seule qu’il voulait, mais elle dans son jardin ombreux, avec sa vigne rouge. Une fois le crime commis, David est dévoré par le délire : il a des visions hallucinatoires, et raconte notamment avoir reçu la visite du spectre d’Urie, dont il a provoqué la mort en l’envoyant en première ligne…
Faut-il considérer Bethsabé comme un drame, un récit, un traité, un poème ? Sans un peu de tout cela à la fois. C’est au printemps 1902 que vient à Gide l’idée d’écrire un drame en trois actes où il exploiterait l’histoire biblique de David et de Bethsabée. Il en commence la rédaction en novembre 1902. Très vite, le drame se transforme en un quasi-monologue (en dehors de David, seuls deux personnages parlants mais secondaires – le général Joab et un serviteur – et un personnage muet – Bethsabé sous son voile de deuil – apparaissent sur la scène) ressemblant fort à un « poème dramatique ». D’ailleurs, si Gide pense à Édouard de Max pour jouer David, et s’il tiendra à ce que Bethsabé soit publié dans son Théâtre complet, il classe le texte parmi ses « traités », et le considère comme une « production[…] lyrique[…] » (lettre à Franz Blei datée du 23 avril 1908).
Bethsabé fait donc partie des œuvres « bibliques » de Gide, qui s’inspire très librement du Deuxième Livre de Samuel, XI‑XII, tout en exploitant un récit de la tradition arabe qui lui a été conté par Athman lors de son deuxième séjour en Algérie en 1896. Le texte, qui s’apparente à un « autre traité du vain désir » (Jean Claude), ou plus exactement encore à un traité du vain assouvissement, fait écho à de nombreuses autres œuvres gidiennes – à commencer par Saül, David étant à son tour en proie aux angoisses et aux hallucinations, et par Le Roi Candaule, la relation de passion-concurrence entre David et Urie n’étant pas sans rappeler celle entre Candaule et Gygès. C’est aussi un Gide déjà politique qu’on découvre dans Bethsabé, avec la figure du « riche » (dans tous les sens du terme) qui veut tout posséder, même la pauvreté. On remarquera par ailleurs l’audace dont Gide fait preuve en écrivant un drame dont deux des personnages centraux sont absents, ou peu s’en faut : Urie n’apparaît à aucun moment sur la scène, seul le serviteur que lui envoie David lui servant de porte-parole ; quant à Bethsabé, elle apparaît, mais furtivement, muettement, et sous un voile qui l’apparente à un spectre.
Terminons avec quelques précisions génético-bibliographiques : les scènes I et II de Bethsabé, rédigées en novembre‑décembre 1902, paraissent dans L’Ermitage, respectivement en janvier et en février 1903. Ce n’est qu’en 1908 que Gide termine Bethsabé, qui paraît dans son intégralité dans le numéro de décembre 1908‑janvier 1909 de Vers et prose. En 1912, le drame-traité paraît en volume dans la Bibliothèque de l’Occident ; la même année, les Éditions de la NRF publient le texte dans Le Retour de l’Enfant prodigue, précédé de cinq autres traités (p. 147‑171). Puis, en 1947, Bethsabé, selon le vœu de Gide, est repris dans le tome II du Théâtre complet (Neuchâtel, Ides et Calendes, p. 147‑167). Mais c’est évidemment l’édition « Pléaide » (Romans et récits, œuvres lyriques et dramatiques, tome I, 2009, p. 797‑809) qu’il convient aujourd’hui de consulter. Enfin, signalons que, si la pièce n’a été que rarement jouée, elle a inspiré un « pantomimisches Oratorium » (1936) au compositeur Will Eisenmann.
Bibliographie raisonnée
Claude, Jean, André Gide et le théâtre, 2 vols., Paris, Gallimard, 1992.
Claude, Jean, « Notice pour Bethsabé », dans André Gide, Romans et récits, œuvres lyriques et dramatiques, tome I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2009, p. 1419-1423.
Gätjens, Sigrid, « Die Umdeutung biblischer und antiker Stoffe im dramatischen Werk von André Gide. Studien zu Saül und Bethsabé, Perséphone und Œdipe », thèse de doctorat, Universität Hamburg, 1993.