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La publication de Robert, Supplément à « L’École des femmes », au début de 1930 dans la catholique Revue hebdomadaire, est ambiguë : parole laissée aux catholiques par un Gide ouvert à la conciliation, ou provocation directe ? Le texte supporte à peu près les deux lectures. Robert, provocation contrôlée, est donc une œuvre marginale – la prolongation d’un petit roman – et un geste important de politique littéraire.
C’était en fonction de sa qualité mais aussi de son absence d’originalité technique que L’École des femmes avait été souvent abordée par la critique, au détriment de sa force de contestation frappante passée largement inaperçue : son féminisme du sacrifice demeure pour ainsi dire trop discret pour être visible, et on cherche moins Éveline que Robert dans le récit fait par son épouse. Ernst Robert Curtius manifeste par exemple à Gide son souhait de disposer, même pour s’en moquer, du point de vue du mari. Le journal d’Éveline, présentant Robert de façon toujours indirecte, semblait à bien des lecteurs forcer le trait, dans l’éloge d’abord puis dans la critique.
André Gide imagine alors une fiction éditoriale, qui constitue l’ensemble de ces textes en faux corpus documentaire, dont lui-même ne serait qu’un éditeur qu’on sait intéressé par ces questions religieuses et intimes, mais qu’on prend aussi, et parfois vivement, à parti. Geneviève, sous un faux nom, avait donc envoyé à Gide, pour servir l’émancipation féminine, le journal de sa mère, qu’elle renommait Éveline et son mari Robert ; le mari, s’appropriant ce nom, écrira non son récit, mais son apologie.
Robert propose un exercice nouveau pour Gide : faire parler un personnage qui se sait d’avance condamné – exposé au prejudice, au préjugé. Cette situation du mari catholique qui prend la parole après les récits d’Éveline si authentiques apparemment, évoque paradoxalement celle de Gide qui sent, particulièrement dans La Revue hebdomadaire, sa parole jugée d’avance par la droite catholique contre laquelle, depuis plusieurs années, il lutte. Robert constitue donc un double énonciatif, et un opposé politique, éthique et littéraire de l’auteur. La fiction renoue alors avec la rhétorique judiciaire. Mais c’est précisément ce type de plaidoirie que Gide dénonçait dans les Souvenirs de la cour d’assises et qu’il vise à contourner lorsque, dans les mêmes années, il étudie dans la collection « Ne Jugez pas » des faits divers et des procès en cherchant la plus grande exactitude factuelle et le simple montage documentaire. Robert est alors moins sans doute un double de Gide qui servirait à dénoncer le préjugé des lecteurs qu’un mauvais locuteur dont la parole se fausserait sous le poids de la condamnation, là où Gide se voudrait un bon locuteur, inventant des modes nouveaux de parole pour supprimer le préjugé.
Le plaisir gidien est alors de laisser libre cours à une écriture bouffonne : on pourra rapprocher le style catholique de Robert, nettement caricatural, du plaisir de faire parler la naïve jeune fille dans la première partie de L’École des femmes, ou du plaisir vengeur avec lequel Claudel, dans La Mort de Judas, se fait ventriloque de l’incroyant en 1933 et épingle Gide en passant. Est notamment manifeste l’incapacité de Robert à produire un récit : l’exactitude, la chronologie lui échappent, et la généralité du discours, qui se prétend hauteur de vue, se laisse alors identifier comme un art de tourner les faits à son avantage. Ce petit plaidoyer constitue une production mineure, mais significative, de l’engagement gidien, et de l’écriture polémique de l’entre-deux-guerres.
Bibliographie raisonnée
Édition
Robert, éd. de David H. Walker, in Romans et récits. Œuvres lyriques et dramatiques, vol. II, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 2009.
Étude critique
Claude Jean, « Robert ou l'Intérêt général », Bulletin des Amis d'André Gide, n°163, juillet 2009, p. 287-344.
Walker David H., « Notice de Robert », in Romans et récits. Œuvres lyriques et dramatiques, vol. II, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 2009, p. 1276-1282.