Un Centre dédié à la recherche sur André Gide

Le Centre d’Études Gidiennes a vocation à coordonner l'activité scientifique autour de Gide, diffuser les informations relatives aux manifestations gidiennes et à rendre visibles et accessibles les études qui lui sont consacrées.
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Stephanie Bertrand Jean-Michel Wittmann
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Vous trouverez en bas de cette page plusieurs ressources critiques en ligne sur cette œuvre. Elles figurent en couleur.

Publié entre 1899 et 1901, Le Roi Candaule fut la première pièce de Gide mise en scène par Lugné-Poe au Théâtre de l’Œuvre en 1901. La rédaction occupe Gide dès l’été 1898, comme en témoigne, entre autres, la correspondance avec Henri Ghéon. Hérodote en est la source principale, mais Gide réélabore ses lectures, ses souvenirs de voyage, voire les échanges qu’il a alors avec ses proches, les entrelaçant dans sa revisitation du mythe de Candaule et Gygès. Et si l’histoire est celle d’un revers de fortune dynastique, en Lydie, au VIIe siècle avant J.-C., qu’embellit le surnaturel platonicien de la bague magique, le récit légendaire offre à l’auteur l’occasion d’exploiter le mythe en tant que « mine sans fond […] de vérités éternelles » et de « mettre en scène » sa conception du théâtre au tournant du XIXe – XXe siècle.

Dès le début, Gide amorce le jeu de miroirs dévoilant la duplicité antithétique des personnages et la circularité du drame. Ivresse et sobriété distinguent les couples : d’une part Candaule, roi riche, et Gygès, pêcheur pauvre, son sujet et ancien camarade d’enfance ; de l’autre, Trydo, la femme de Gygès, « goton » adultère, et Nyssia, reine digne mais pudique. Même les huit courtisans, convives au banquet de Candaule, sont concernés par cette ambivalence : d’un côté, les flatteurs arrivistes, lubriques et obscènes, de l’autre, les âmes nobles, porteuses d’un sentiment d'amitié honnête, quoiqu'ambigu. Simmias, l’un d’eux, demande à propos de Candaule : « Est-il heureux vraiment ou simplement le paraît-il ? ». C’est donc le drame de la quête du bonheur que propose cette version gidienne du mythe.

En fait, Candaule dévoile publiquement la beauté de Nyssia, car il ne veut pas priver autrui d’un bien dont il bénéficie tout seul. De plus, persuadé qu'il possède le bonheur, il souhaite prendre sa cour à témoin afin qu'elle confirme ce bonheur. Pour ce faire, il lui faut un intermédiaire, miroir ou alter ego : d’abord les courtisans, ensuite Gygès lui-même. C’est à ce dernier qu’il confiera sa femme pour une nuit d’amour. Le dévoilement de la nudité et la possession charnelle auront lieu à l’insu de la reine grâce à la bague d’invisibilité que le ventre d’une daurade servie au banquet a accordée. D’ailleurs, le poisson, à l'image d'un oracle, avait laissé parler l’inscription en grec de l’anneau : « Je cache le bonheur ». L’expression est sibylline : le bonheur, se cache-t-il dans le joyau si bien qu’il en est porteur, ou bien l'anneau fait-il disparaître le bonheur quand celui-ci existe déjà ?

Grâce au subterfuge conçu par Candaule, Gygès possédera enfin la reine. Or, le pêcheur se trouve entre deux figures féminines, Nyssia et Trydo, qui manifestent une gémellarité au moins littéraire, puisque leur nom renvoie, selon les sources, au même personnage. Il faut donc que l’une d’elles soit éliminée pour laisser un nouveau triangle se former : Candaule, en tant que « caractère », accomplit un acte qui dépasse son humanité en offrant sa femme à son ami, qui deviendra son rival. Quant à Gygès, que le don de la bague a élevé au rang royal, c’est au goût du risque de son roi qu’il devra faire face. Toutefois, en faisant la démonstration de sa « donnante nature » par une excessive générosité, Candaule a aussi signé sa condamnation à mort. En effet, la révélation de la trahison sera sans issue pour Gygès : vivre en roi ou mourir. L’alter ego, jaloux comme Candaule après cet acte admirablement « insensé », tue alors le roi. Et c’est Nyssia qui stimule sa main meurtrière. La femme pudique devient vengeresse, montrant orgueilleusement son visage sans voile. Gygès ordonne alors à la nouvelle Trydo : « Eh bien ! Recousez-le ». Ainsi l’histoire de Candaule et de Gygès se conclut-elle, non sans renvoyer implicitement à la scène d’exposition : « Que celui qui tient un bonheur, - qu’il se cache ! / Ou bien qu’il cache aux autres son bonheur. »

Marco Longo

Bibliographie raisonnée

Éditions

Théâtre complet, Neuchâtel-Paris, Ides et Calendes, tome II, 1947 (préfaces p. 29-40, texte p. 41-145, notice par Richard Heyd p. 179-180).

Le Roi Candaule, éd. Patrick Pollard, Lyon, Centre d'Études Gidiennes, « Gide/Textes », n° 14, 2000.

Études critiques

Claude Jean, André Gide et le théâtre, Paris, Gallimard, « Les Cahiers de la N. R. F. », 2 volumes, 1992.

Longo Marco, Le triangle en travesti : le pièces giovanili di André Gide. Analisi e prospettive, prefazione di Maria Teresa Puleio, Firenze, Olschki, 2006.

Martin Claude, La Maturité d’André Gide. De Paludes à L’Immoraliste (1895-1902), Paris, Éditions Klincksieck, 1977.

Robichez Jacques, Le Symbolisme au théâtre. Lugné-Poe et les débuts de L’Œuvre, Paris, L’Arche, 1972.

Articles critiques

Beaubourg Maurice, « André Gide et le Candaulisme », La Plume, 1er juin 1901.

Church D. M., « Structure and Dramatic Technique in Gide’s Saül and Le Roi Candaule », Publications of the Modern Language Association of America, New York, volume 84, 1969, p. 1639-1643.

Debard Clara, « À la recherche d’une écriture dramatique nouvelle : Le Roi Candaule par André Gide », dans Pascal Lécroart (dir.), Formes et dispositions du texte théâtral, du symbolisme à aujourd’hui - enjeux littéraire, poétique, scénique, Presses Universitaires de Franche-Comté, à paraître le 16 mai 2019.

Delorme Cécile, « Le Roi Candaule ou les dangers de l’amour », Cahiers André Gide, tome 1, 1969, p. 299-318.

Feal Gisèle, « La magnificence du Candaule. Comparaison d’une pièce de Gide et d’une pièce de Crommelynck », Romance Notes, Chapel Hill, tome XIII, 1971-1972, p. 197-203.

Flower Smith Kirby, « The Tale of Gyges and The King of Lidia », American Journal of Philology, vol. XXIII, 1902, p. 261-282/361-387.

Flower Smith Kirby, « The Literary Tradition of Gyges and Candaules », American Journal of Philology, vol. XLI, 1920, p. 1-37.

Gerould Daniel, « Candaules and the Uses of Myth », Modern Drama, volume XII, n° 3, december 1969, p. 270-278.

Ghéon Henri, « Notes sur une renaissance dramatique (IV). Le Roi Candaule », L’Ermitage, août 1901, p. 107-119.

Pollard Patrick, « The Structure and Meaning of a Gidean Myth, Le Roi Candaule », Forum for Modern Language Studies, St. Andrews, Scotland, 1977, p. 336-349.

Pollard Patrick, « Genèse et variantes du Roi Candaule », La Revue des Lettres Modernes, Paris, Caen, 1362-1370, 1998, p. 63-82, discussion p. 83.

Pollard Patrick - Claude Jean, « Autour de Candaule. », Bulletin des Amis d'André Gide, n°163, juillet 2009, p. 345-352.

Rosso Corrado, « Il talismano e la porta chiusa (Le Roi Candaule” e La Porte Étroite) », Il serpente e la sirena. Dalla paura del dolore alla paura della felicità, Napoli, Edizioni Scientifiche Italiane, 1972, XXVII, p. 297-327.

San Juan jr Epifanio, « Patterns and Significance in Two Plays of Gide », Discourse, volume 8, autumn 1968, p. 350-361.

Vielé-Griffin Francis, « Lettre à André Gide après l’émouvant Roi Candaule », L’Ermitage, juin 1901, p. 414-418.

Le site du CEG a été réalisé grâce au soutien de la Fondation Catherine Gide, avec la participation de l’Association des Amis d’André Gide. Il a été réalisé en partenariat avec Martine Sagaert, responsable du site originel andre-gide.fr, créé en 2006 avec des étudiant.e.s de l'I.U.T. des Métiers du Livre de Bordeaux.