À l’heure où son magister sur les milieux littéraires et artistiques est à son apogée mais suscite paradoxalement de très violentes polémiques, André Gide publie, en 1921, à l'attention du public adolescent et en parallèle d’un ouvrage similaire à destination d’un lectorat plus mûr, une anthologie personnelle de son œuvre sous le titre de Pages choisies chez l’éditeur Georges Crès, au sein de la collection « Le Florilège contemporain ». Ce recueil d’analectes, né d'une sélection personnelle d’André Gide, offre aux jeunes lecteurs de l’époque un lieu propice à la découverte de l’œuvre gidienne autant qu’un espace singulier permettant à l’auteur d’effectuer un premier bilan de son activité intellectuelle et d’envisager la fabrique d’un futur lectorat.
En effet, des plus belles pages de Si le grain ne meurt – inédit alors en volume – aux morceaux les plus signifiants des Nourritures terrestres, en passant par Le Voyage d’Urien, Les Caves du Vatican, La Porte Étroite, des extraits de ses récits de voyage ou de son célèbre Journal, ce florilège autographe propose aux lecteurs adolescents de découvrir, en suivant le chemin tracé par l’auteur à leur attention, ce qu'il convient de nommer une « œuvre-vie ». Douze extraits de l’œuvre d’André Gide, comme autant de chapitres d'un récit de voyage et d'étapes d'une existence, qui offrent un aperçu unique de sa production, un espace où se déploie l'histoire de sa pensée, l'évolution de ses idées, les différents aspects de son activité intellectuelle et artistique.
Né de l'épars, forme même de la fragmentation, objet de l'éclatement passé et de l’unité retrouvée, les Pages choisies réalisent l'harmonie parfaite du tout et de la partie réunis en un ouvrage à valeur d’œuvre propédeutique. André Gide s'y raconte dans un parcours en forme de confessions successives de divers états d'âme, s'y lit comme un intransigeant commentateur de son œuvre dont il tente d'élaborer l'unité́ provisoire, et s'y observe modelant, par le prisme de la fragmentation, la figure idéalisée de ses futurs lecteurs.
Hadrien Courtemanche
Bibliographie :
- D.C., préface aux Pages choisies d'André Gide, Georges Crès, « Bibliothèque de l'adolescence », Paris, 1921.
- Félix Bertaux, « Le démon d'André Gide », Ère nouvelle, le 23 décembre 1921.
- Conférence, donnée par Hadrien Courtemanche, doctorant en Littérature française de l’Université Sorbonne Paris Nord, pour l’ouverture de la 63ème saison de l'Association Guillaume Budé d'Orléans, le 28 septembre 2017 au Musée des Beaux-Arts d'Orléans, intitulée « Les Pages choisies d'André Gide ou la fabrique du lecteur », disponible en ligne https://textechoix.hypotheses.org/195