Un Centre dédié à la recherche sur André Gide

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Stephanie Bertrand Jean-Michel Wittmann
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  Vous trouverez en bas de cette page plusieurs ressources critiques en ligne sur cette oeuvre. Elles figurent en couleur.

 

       Prométhée délivré de ses chaînes survient, un jour des années 1890, sur les boulevards parisiens, où vient de se produire une scène énigmatique racontée en focalisation externe par un narrateur anonyme. Un monsieur maigre ramasse le mouchoir tombé de la poche d’un monsieur gras qui, en récompense, lui remet une enveloppe où écrire un nom et une adresse de son choix, puis lui donne une gifle avant de disparaître…

     L’œuvre au titre ludique et transgressif, ouverte sur cet étrange récit, se clôt sur un épilogue tout aussi étrange, précédé d’une épigraphe empruntée au Journal des Goncourt : « On n’écrit pas les livres qu’on veut ».  La citation en forme d’excuse adressée aux critiques rappelle l’avant-propos de Paludes attendant du lecteur « la révélation de nos œuvres ». Tout livre de Gide est en soi une interrogation sur la littérature, surtout quand il surprend par son saugrenu et rompt, comme Le Prométhée mal enchaîné, avec les conventions les mieux établies. Le texte, d’abord étiqueté roman dans L’Ermitage, devient ensuite sotie par contamination de Paludes, dont il s’approprie deux personnages, et des Caves du Vatican, avec laquelle il partage une réflexion sur l’acte gratuit.

    Ce récit s’insère aussi dans le paradigme des œuvres qui, du Traité du Narcisse à Thésée, manipulent ironiquement le mythe. Le Prométhée gidien combine plusieurs figures empruntées à la tradition eschyléenne et aux drames romantiques de Goethe et de Shelley. Il est ainsi le lieu d’une tension entre deux lectures opposées du mythe, celle du héros sacrifié, mis en scène dans Philoctète, et celle du héros révolté et libéré, qui l’emporte cette fois. Dans l’édition originale, la portée éthique du livre est soulignée par l’inscription en annexe de trente-trois « réflexions » reprises des Réflexions sur quelques points de littérature et de morale et ensuite reversées dans le Journal. Mais elle s’exprime aussi sans cet appendice, dans l’image de l‘aigle qui dévore le foie de Prométhée jusqu’à ce que celui-ci le tue et se serve de l’une de ses plumes pour écrire le livre que nous lisons. Cette allégorie de la création littéraire libératrice et du nécessaire recul qui l’accompagne et qui peut prendre les différentes formes du rire, est représentée dans l’œuvre par une composition complexe. La sotie se manifeste par le brouillage des indices spatio-temporels et des repères culturels, coupant tout lien apparent avec l’usage, voire avec la logique, et déroutant les attentes : ainsi le réalisme illusoire de l’incipit ou les allusions bibliques inattendues dans le contexte du mythe grec. La sotie est aussi, par sa liberté, expérimentation de formes : la scène initiale, par exemple, est racontée six fois par des narrateurs différents et la structure apparente du récit à la rigueur rhétorique extrême s’avère un trompe-l’œil. Elle est encore appel à une lecture moins linéaire que transversale, on le voit avec la présence de figures structurelles comme la circularité, la répétition ou la mise en abyme qui procède à une réécriture de l’histoire de Prométhée et de son aigle à travers celle de Tityre et de son chêne. Situé au moment où Gide achève un premier cycle de ses œuvres et s’interroge sur les genres littéraires, Le Prométhée mal enchaîné constitue une étape dans la recherche d’une formule du roman qui, par-delà les soties et les récits, aboutira à l’écriture des Faux-Monnayeurs.

Pierre Lachasse

Bibliographie raisonnée 

Principales éditions 

PO L’Ermitage, janvier 1899, p. 37-54 ; février 1899, p. 125-142 ; mars 1899, p. 196-215.

EO Mercure de France, 1899.

Éditions de la NRF, 1920, illustrée de trente dessins de Pierre Bonnard.

Gallimard, 1925 (édition bleue mise en vente en 1926).

Œuvres complètes, tome III, éd. Louis Martin-Chauffier, Gallimard, 1933, p. 97-160.

Romans, Récits et Soties, Œuvres lyriques, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », éd. Jean-Jacques Thierry, 1958, p. 301-341.

Romans et Récits, Œuvres lyriques et dramatiques, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », vol. I, éd. Pierre Masson, 2009, p. 465-509.

Études critiques 

Bulletin des amis d’André Gide, n° 49, janvier 1981, n° spécial consacré au Prométhée mal enchaîné, p. 5-88.

Dossier de presse, Bulletin des amis d’André Gide, n° 49, janvier 1981, p. 60-71 (5 articles) ; n° 57, janvier 1983, p. 71 (1 article).

Brée, Germaine, « Signification du Prométhée mal enchaîné et sa place dans l’œuvre d’André Gide », The French Review, vol. 26, n° 1, octobre 1952, p. 13-20.

Gutwirth, Marcel, « Le Prométhée de Gide », Revue des sciences humaines, n° 116, décembre 1964, p. 507-519.

Holdheim, William, « The Dual Structure of the Prométhée mal enchaîné », Modern Language Notes, vol. 74, n° 8, décembre 1959, p. 714-720.

Masson, Pierre, Dictionnaire Gide, Classiques Garnier, « Dictionnaires et Synthèses », n° 1, 2011, p. 325-327.

Spacagna, Antoine, « Prolégomènes à une lecture “parabolique” du Prométhée mal enchaîné », Bulletin des amis d’André Gide, n° 50, avril 1981, p. 203-216.

Weinberg, Kurt, On Gide’s « Prométhée » : Private Myth and Public Mystification, Princeton, NJ, Princeton University Press, 1972.

Le site du CEG a été réalisé grâce au soutien de la Fondation Catherine Gide, avec la participation de l’Association des Amis d’André Gide. Il a été réalisé en partenariat avec Martine Sagaert, responsable du site originel andre-gide.fr, créé en 2006 avec des étudiant.e.s de l'I.U.T. des Métiers du Livre de Bordeaux.