Un Centre dédié à la recherche sur André Gide

Le Centre d’Études Gidiennes a vocation à coordonner l'activité scientifique autour de Gide, diffuser les informations relatives aux manifestations gidiennes et à rendre visibles et accessibles les études qui lui sont consacrées.
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Stephanie Bertrand Jean-Michel Wittmann
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Vous trouverez en bas de cette page plusieurs ressources critiques en ligne sur cette oeuvre. Elles figurent en couleur.

 

Perséphone, sur une musique d’Igor Stravinsky, fut représenté pour la première fois le 30 avril 1934 à l’Opéra de Paris avec Ida Rubinstein pour la danse, Jacques Copeau pour la mise en scène, Kurt Jooss pour la chorégraphie, et André Barsacq pour les décors. La collaboration ne fut pas sans accroc : Stravinski, qui voulait se débarrasser du narcisse et de la grenade (dignes, disait-il, de l’époque d’Oscar Wilde), n’appréciait pas la prosodie de Gide, tandis que l’auteur du livret n’aimait pas la musique. En plus – et à la grande réprobation de Gide – Copeau et ses collaborateurs semblaient célébrer la messe.

Le mélodrame représente le renouveau d’un projet, Proserpine, qui date des premières années de la vie littéraire de Gide. Perséphone est maintenant divisé en trois tableaux, suivant le système antique qui classait les saisons. Le premier nous montre la prairie où la jeune fille cueille le narcisse dans le calice duquel elle voit aux Enfers « Tout un pauvre peuple dolent ». Au deuxième tableau, Perséphone est reine des Enfers : elle goûte les grains de la grenade, ce qui assure sa présence auprès de Pluton. Dans une vision, elle voit la terre hivernale et les soins que donne Déméter, sa mère, au nourrisson Démophoon. Au troisième tableau, Perséphone renaît à la vie : grâce aux labours de Démophon devenu Triptolème, la terre nourricière accueille le printemps, mais Perséphone ne peut échapper au destin et, à la fin du mélodrame, elle regagne le pays souterrain pour apporter aux ombres « Un peu de la clarté du jour, / Un répit à leurs maux sans nombre, / À leur détresse un peu d’amour ». L’ensemble est conçu comme la célébration d’un rite religieux à la manière de l’ancien culte élusinien. C’est pour cette raison que le prêtre d’Éleusis, Eumolpe, prend la parole au début de chaque tableau pour en expliquer la signification : l’invocation à Déméter, « dispensatrice du blé », et l’indication du rapt de sa fille Perséphone ; la présentation des Enfers, et « l’infernal Pluton [qui] / Ravit […] / à la terre son printemps » ; le retour de Perséphone et du printemps grâce à l’effort de Démophoon. Les figurants dans la première version avaient été nombreux – Proserpine, Cérès [Déméter], Pluton, Calypso, Eurydice, avec, mimants ou dansants, Mercure, Hercule, Atalante, Tantale, et d’autres … Dans la nouvelle version, nous voyons Eumolpe, Perséphone, et les deux chœurs – celui des nymphes, celui des enfants – et, dans le deuxième tableau, le chœur des Ombres. On fait tout simplement allusion aux autres personnages mythologiques. Gide avait écrit à Stravinski qu’il envisageait le mélodrame « à mi-distance entre l’interprétation naturelle » du rythme des saisons, « et l’interprétation mystique ». À la première époque, il avait mis à contribution l’Hymne homérique à Déméter et le chant XI de l’Odyssée (Ulysse qui interroge les Ombres), le tout dans la traduction de Leconte de Lisle. En 1932 venait s’y ajouter une lecture des Greek Studies de Walter Pater, qui lui offrait une nouvelle traduction en raccourci de l’Hymne et un commentaire sur les mystères d’Éleusis dont il profitait pour développer l’aspect mystique de son œuvre.

La version primitive de Proserpine semble avoir été conçue au début des années 1890, époque de la composition du Traité du Narcisse et des lectures du Monde comme volonté et représentation de Schopenhauer. Elle est annoncée comme Le Traité des trois grains de la grenade en 1893. Dans la symbolique gidienne, ce fruit est l’emblème de la vie, de la jouissance et du désir. Proserpine est annoncé comme « drame » en 1896, et Gide continue à y réfléchir. En 1909, Florent Schmitt lui demande s’il n’a pas un texte qui donnerait un prétexte pour monter une féerie ou un ballet. Gide lui suggère ce scénario « de derrière les fagots » qu’il appelle une symphonie dramatique en quatre tableaux, mais le projet n’aura pas de suite. Des fragments en sont publiés dans Vers et Prose en 1912, date à laquelle le compositeur Paul Dukas s’y intéresse aussi. En 1913 Gide, marqué peut-être par son enthousiasme pour Nijinski et les Ballets russes de Diaghilev, se met en contact avec le groupe des émigrés russes où se retrouvent Igor Stravinski, le peintre décorateur José Maria Sert, et Ida Rubinstein, qui commanditera la mise en musique éventuelle.

Dans la première version, Gide semble avoir pris comme point de départ le mythe d’Orphée et d’Euridyce, et avoir voulu mettre l’accent non sur la faiblesse et le triste sort du poète, mais sur l’insatisfaction de l’héroïne. En effet, l’attente d’Eurydice ne sera jamais comblée, et les Ombres d’Orion, de Tantale, d’Hercule, d’Hippomène et des Danaïdes représenteront le même symbole du désir inassouvi – la condition nécessaire de la vie selon l’éthique symboliste. En effet la phrase « le geste inachevé » deviendra en 1934 « le geste insensé de la vie ». On a interprété Perséphone de plusieurs façons. Outre l’histoire symbolique des saisons, on y a trouvé une allégorie du communisme (notons que Gide reprend en tête du Retour de l’U.R.S.S. en 1935 l’histoire de Déméter qui nourrit une humanité future), un rappel de la charité chrétienne, et même l’emblème du travail de l’artiste. Mais Jean Claude a sans doute raison lorsqu’il déclare que le mélodrame « est loin d’être une œuvre engagée ». Perséphone nous aide à mesurer le chemin qui sépare Gide schopenhaurien et symboliste de l’écrivain qui, après la Grande Guerre, prend en pitié la souffrance humaine.  

Patrick Pollard

Bibliographie raisonnée

Éditions

Proserpine. Perséphone, édition de Patrick Pollard, Lyon, Centre d’Études gidiennes, 1977.

Perséphone [et Proserpine], édition de Jean Claude, in Romans et récits. Œuvres lyriques et dramatiques, vol. 2, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 2009 (texte p. 715-731, notice p. 1306‑1318).

Études critiques 

Claude Jean, « André Gide et le théâtre », Paris, Gallimard, 1992.

Claude Jean, « Autour de Perséphone », Bulletin des Amis d'André Gide, n° 73, janvier 1987, p.23-55.

Claude Jean, « Perséphone ou l’auteur trahi ? », dans Pascal Lecroart (éd.), Ida Rubinstein. Une utopie de la synthèse des arts à l’épreuve de la scène, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2008, p. 213-233.

Claude Jean, « Perséphone », dans Dictionnaire Gide, (éd. Pierre Masson et Jean-Michel Wittmann), Paris, Classiques Garnier 2011, p. 303-304.

Claude Jean, « Proserpine 1909 », Bulletin des Amis d'André Gide, n° 54, avril 1982, p. 251-268. [*Avec les lettres échangées par Gide et Florent Schmitt.]

Claude Jean, « Perséphone à Milan »Bulletin des Amis d'André Gide, n°81, janvier 1989.

Claude Jean, « Proserpine », dans Dictionnaire Gide, (éd. Pierre Masson et Jean-Michel Wittmann), Paris, Classiques Garnier 2011, p. 327.

Levitz Tamara, « Modernist Mysteries: Perséphone. ». Oxford and New York: Oxford University Press, 2012.

Métayer Bernard, « Perséphone », Bulletin des Amis d'André Gide, n°70, avril 1986, p. 85-86.

Pollard Patrick, « Présence d’un mythe », Bulletin des Amis d'André Gide, n° 71, juillet 1986, p. 93-99.

Pollard Patrick, « André Gide : a musical chronicle», dans Adam (préface de Miron Grindea), n° 468-480, ["1986" = 1988].

Le site du CEG a été réalisé grâce au soutien de la Fondation Catherine Gide, avec la participation de l’Association des Amis d’André Gide. Il a été réalisé en partenariat avec Martine Sagaert, responsable du site originel andre-gide.fr, créé en 2006 avec des étudiant.e.s de l'I.U.T. des Métiers du Livre de Bordeaux.