Un Centre dédié à la recherche sur André Gide

Le Centre d’Études Gidiennes a vocation à coordonner l'activité scientifique autour de Gide, diffuser les informations relatives aux manifestations gidiennes et à rendre visibles et accessibles les études qui lui sont consacrées.
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Stephanie Bertrand Jean-Michel Wittmann
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Le 15 novembre 2018 a eu lieu à Mulhouse la première soirée du cycle de conférences / performances « Gide Remix », organisé par le Groupe de recherche éponyme. La rencontre s’est déroulée au MOTOCO, une association d’artistes située dans un ancien bâtiment de l’usine textile DMC. Invité d’honneur, le dessinateur Jérôme Lereculey, président du Festival Bédéciné, rendez-vous majeur du genre en France, qui en est aujourd’hui à sa 34édition. 

Les Caves du Vatican, un livre « à part »

Sur sa table – placée à côté de la scène – Jérôme Lereculey essaie de remettre un peu d’ordre avant le début de la soirée. « J’aime rester dans mon coin quand je travaille », nous dit-il. De l’eau, des couleurs et des feuilles entassées les unes sur les autres, où différentes versions du même visage nous regardent. Aucune hésitation ne sera possible ce soir, car les dessins se feront en live, sous les yeux du public. Les voix de Marine Parra et Caroline Werlé – doctorantes à l’Université de Haute-Alsace – guideront les mouvements de sa main, projetée sur un écran. Quelques instants encore et nous serons tous dans cette chambre de l’impasse Claude-Bernard, à Paris, où le comte Julius de Baraglioul découvre, fouillant dans un tiroir, un carnet de comptes apparemment sans importance...

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© PC

Pourquoi Les Caves du Vatican ? Il faudrait répondre ainsi : Lafcadio, donc Les Caves. On connaît la célèbre phrase prononcée par Jean Paulhan à la sortie du Vieux-Colombier, en 1951 : « Plus d’un garçon garda pour dormir toute la vie la porte de sa chambre ouverte, parce que telle était l’habitude de Lafcadio. » Que ce soit vrai ou pas, il est certain que ce personnage a fasciné des générations entières de lecteurs, au point que la fortune de l’œuvre de Gide a été longtemps liée à celle de son héros bâtard. Un exemple : en 1925, en Angleterre, le livre sort dans la traduction de Dorothy Bussy sous le titre Lafcadio’s Adventures ! Titre qu’il a gardé pendant bien longtemps, étant donné qu’il aura fallu attendre l’année de son centenaire pour voir paraître une retraduction.

Il ne fallait rien de moins que ce personnage – si ambigu, si complexe, à la personnalité multiple – pour débuter notre propre aventure « Gide Remix ». Lafcadio en action, voilà le principe qui a guidé le choix des extraits lus au cours de la soirée. L’épisode de l’acte gratuit, bien sûr, mais d’autres également : sa première rencontre avec Julius, son élan au secours de deux enfants pris dans un incendie, la lecture du fait-divers où il se découvre « criminel », etc. Un personnage qui se transforme au fil des pages de Gide et au fil des dessins de Jérôme Lereculey, qui parvient à nous montrer les différentes facettes de son caractère, en jouant sur le contraste des couleurs chaudes et froides, de l’orange et du bleu.

Au travers d’une technique que ses fidèles lecteurs trouveront décidément inusuelle, Jérôme Lereculey s’efforce d’aller à la rencontre de l’imaginaire de Gide. Le travail du dessinateur, dont la main court rapidement sur la feuille pour coller au rythme du texte, est en effet le fruit d’un travail de relecture et de réappropriation du texte littéraire. La table ronde qui suit la performance, où sont discutées les impressions à chaud du public, vient le confirmer. Les gravures de Jean-Émile Laboureur, dont Lereculey a pris connaissance en faisant ses recherches, ont servi à la fois de modèle et de repoussoir : tenir compte de ces réalisations était en effet nécessaire, mais c’est l’univers de la bande dessinée qu’il importait de restituer ici. Et on voit bien que le jeune bâtard gidien n’est pas sans rappeler le célèbre Corto Maltese. Le « beau jeune homme blond » décrit par Gide a les cheveux bruns et une cigarette à la bouche...

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Littérature & bande dessinée. Quelques pistes de réflexion

Le quotidien Le Monde a lancé, en 2017, en collaboration avec les Éditions Glénat, la collection « Grands classiques de la littérature en bande dessinée », destinée aux lycéens. Chaque volume est accompagné d’un support pédagogique, permettant d’accéder à un ensemble de repères historiques, artistiques et sociaux.Gide aurait-il pu y trouver sa place ? Peut-être. L’inscription des Faux-monnayeurs au programme du baccalauréat a suscité un écho tout à fait intéressant, qui va justement dans cette direction (voir le site de la Fondation Catherine Gide). Et n’oublions pas qu’il existe une bande dessinée du Retour du Tchad, publiée par La Boîte à bulles en 2010. 

Aujourd’hui, la bande dessinée a incontestablement trouvé son public. Les ventes et le succès de différentes manifestations, dont le Festival Bédéciné, en témoignent. Il en va de même pour la place de la littérature en bande dessinée. La discussion à laquelle ont été conviés Paola Codazzi, coordinatrice de la soirée, Ambre Fuentes, réalisatrice, Denis Gerhart, responsable des auteurs du Festival Bédéciné, et le dessinateur Jérôme Lereculey, a permis de confirmer la place importante des adaptations de romans en BD, et du travail d’inspiration réciproque et d’échanges entre deux univers à la fois très proches et très différents.

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De la ligne à la case, donc : La Vie devant soi (2017), Le Premier homme (2017), Claudine à l’école (2018), etc. Dans certains cas, c’est l’auteur lui-même qui inspire les créateurs de BD. Au cinéma, on parle aujourd’hui de biopic. Dans le neuvième art, les choses ne sont pas bien différentes. La biobd – si on accepte le néologisme – est un genre à succès : il suffit de penser à Rimbaud, l’indésirable, paru en 2013 aux Éditions Casterman, suivi en 2016 par Rimbaud, l’explorateur maudit (Éditions Glénat). Et il ne faut pas négliger l’importance, dans le panorama actuel, des graphic novels, ou romans graphiques. Ils représentent un mouvement général de la bande dessinée vers la littérature, qui attire aujourd’hui l’attention d’une critique en quête d’instruments méthodologiques et théoriques. Où se situe la frontière entre l’album et le livre ? Qu’est-ce que signifie « écrire » une bande dessinée ? Comment situer, dans un cadre déjà si complexe, la bande dessinée muette, ou silencieuse ? Les questions soulevées par le débat sont multiples et restent pour la plupart sans réponse unique. 

Mais Denis Gerhart nous invite à une dernière considération : la bande dessinée semble réussir à toucher un public que la littérature proprement dite n’est plus capable d’atteindre. L’adaptation en BD d’un récit tel que Les Caves du Vatican nous paraît donc la bienvenue. En répondant à notre invitation, Jérôme Lereculey a en même temps répondu à une question plus générale sur la capacité d’une œuvre à se renouveler dans le temps, en rencontrant de nouvelles formes et de nouveaux publics, jusqu’à aller chercher le « lecteur paresseux » dont parlait Gide.

 

Paola Codazzi

Le site du CEG a été réalisé grâce au soutien de la Fondation Catherine Gide, avec la participation de l’Association des Amis d’André Gide. Il a été réalisé en partenariat avec Martine Sagaert, responsable du site originel andre-gide.fr, créé en 2006 avec des étudiant.e.s de l'I.U.T. des Métiers du Livre de Bordeaux.