Un Centre dédié à la recherche sur André Gide

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Stephanie Bertrand Jean-Michel Wittmann
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Gide, Vielé-Griffin et les Entretiens politiques et littéraires

La libération du vers est le grand combat esthétique de Vielé-Griffin dans les années 1885 à 1890. C’est un long et patient travail qui passe d’abord par le « vers libéré », dépouillé des contraintes qui le sclérosent et le transforment en pur exercice d’école, avant d’aboutir au « vers polymorphe ». La défense du vers libre et de la laisse analytique fonde l’identité de la poésie symboliste en répondant aux attentes d’une jeunesse désabusée par les vaines virtuosités et les conceptions positivistes de leurs aînés. La quête de formes neuves leur semble un moyen approprié pour exprimer leurs désirs, leurs rêves et leurs états d’âme. Cette esthétique favorise la suggestion et la musicalité de rythmes inédits et laisse large place à l’imaginaire personnel et au renouvellement du langage et des mythes que l’on aurait pu croire désuets et usés pour avoir trop servi. Vielé-Griffin publie son manifeste du vers libre en préface au recueil Joies (1889), dont la simplicité et l’inspiration souvent euphorique, qui s’appuie sur la réécriture de chansons anciennes, tranchent sur l’hermétisme et le ton spleen étique des recueils contemporains. Il en précise la portée et la signification : « nulle forme fixe n’est plus considérée comme le moule nécessaire à l’expression de toute pensée poétique ». Et il ajoute même : « L’Art ne s’apprend pas seulement, il se recrée sans cesse ; il ne vit pas que de tradition, mais d’évolution ». Si le renouvellement de la littérature a un caractère iconoclaste, évident dans le vers libre, davantage que dans l’écriture artiste ou le culte du mot rare, il s’inscrit forcément dans une histoire et une filiation qui lui donnent sens. L’étiquette de « décadents » ou d’« empoisonneurs » dont les élites affublent la génération nouvelle paraît donc d’autant plus mal venue qu’elle masque les vrais enjeux du débat. Les diffamations de la presse quotidienne et les caricatures dont elle déforme la jeunesse littéraire nécessitent la réplique d’une « campagne affirmatrice ». Vielé-Griffin décide de créer une « feuille de combat » qui prendra d’abord la forme d’un pamphlet sans périodicité régulière, mais renouvelable « au gré des événements » (mars 1890). Ce sont les Entretiens politiques et littéraires, conçus avec Régnier et Paul Adam, auxquels se joint vite Bernard Lazare. La nécessité aidant, ils deviennent le mois suivant une revue mensuelle, ou plutôt un « fumoir spéculatif » livré à l’humeur des collaborateurs, peu nombreux mais très réactifs, et voué à la défense de la liberté du vers et à la dénonciation de toutes les contraintes superflues. Son ouverture aux théories anarchistes, sur lesquelles la revue fait volte-face après les attentats aveugles et meurtriers de 1892, s’inscrit dans le discours d’une génération qui oppose, selon Pierre Quillard, l’héroïsme de l’esthète en quête d’une « forme nouvelle de beauté » aux « préoccupations des contingences transitoires ». La publication du Traité du Narcisse (Théorie du Symbole) en tête des Entretiens prend donc le sens d’un manifeste, assez proche des proclamations esthétiques d’un Stuart Merrill, certes personnel à Gide avec la triple référence à la Bible, à l’Antiquité grecque et au Poète, mais dont il lui faudra assez vite se démarquer, même s’il lui restera en partie fidèle.

Gide, Vielé-Griffin et L’Ermitage

L’installation du poète en Touraine et les voyages de Gide espacent leurs relations qui restent amicales et dont témoigne leur correspondance. Vielé-Griffin continue de défendre la cause du vers libre dans les revues d’avant-garde et même dans L’Écho de Paris où il participe chaque quinzaine à une campagne poétique en alternance avec Régnier (1895-1896). En janvier 1897, il est l’instigateur d’une très vive « protestation » de la jeune génération contre La Plume dont les chroniqueurs naturistes ont injurié Mallarmé. Cette lettre ouverte paraît dans le Mercure avec les signatures de Gide, Valéry, Schwob et Verhaeren, mais curieusement sans la sienne. La même année, sont publiées Les Nourritures terrestres et le recueil de Vielé-Griffin La Clarté de vie, une ode lumineuse à la vie et à la nature sous forme de poèmes lyriques et narratifs qui s’inscrivent dans le légendaire. Vielé-Griffin salue leur proximité : « nos routes se croisent souvent comme deux bras d’une rivière, l’une lente et propice aux reflets, l’autre impétueuse et qui mire en forêt tragique les calmes peupliers de la digue ». Pour Gide, La Clarté de vie porte une « radieuse parole » et éblouit comme une « trop céleste lumière », mais il en préfère les amples poèmes narratifs aux courts récitatifs. La publication des « Lettres à Angèle » dans L’Ermitage à partir de juillet 1898 impose un type nouveau de critique, différent autant de la chronique que du feuilleton, ressemblant à une conversation entre amis et laissant le temps au lecteur de doser et de formuler sa pensée. Aux yeux de Vielé-Griffin, cette forme nouvelle de maïeutique pourrait ressusciter les essais des Entretiens, à une époque où la cause du vers libre semble gagnée, mais où il reste encore des combats à mener. Le plus urgent semble de dénoncer les vanités du naturisme, qui enferme la poésie dans les limites du régionalisme et de l’art social. Il faut aussi fonder une revue adaptée à l’évolution des formes et des idées, ce que n’est plus L’Ermitage, essoufflé après neuf ans d’âge, hésitant sur la voie à suivre et privé d’un animateur. Il lui faut un entraîneur et une équipe sûre et rétrécie pour promouvoir l’art nouveau. Vielé-Griffin, dans sa lettre ouverte (novembre 1898), appelle Gide à être ce « directeur de nos consciences » à la fois porteur d’idées et éveilleur des autres dont il aiderait à développer leur « liberté de pensée ». L’Ermitage de 1899 devient le lieu où s’expérimente la littérature et où s’élabore une réflexion esthétique qui n’aboutit qu’au temps de La NRF.

Les éloignements de la maturité

Dans les années 1900, Vielé-Griffin diversifie ses entrées dans les revues, se montrant plus rares dans L’Ermitage, dont il assure cependant la chronique poétique (1905-1906), et plus présents à L’Occident et à La Phalange. Dans L’Occident, il publie un article sur L’Immoraliste dont la « rigide conception classique » le frappe autant que le caractère déroutant du héros. C’est « l’apologie implicite d’une morale nécessaire » et l’affirmation de la sociabilité humaine, du « devoir pour l’homme de ne rien renier de son sang, de sa race, de sa terre ». Les relents barrésiens de sa critique ne troublent pourtant pas Gide qui lui écrit y avoir puisé un « admirable réconfort ». Il réserve aussi à L’Occident le long article théorique en deux volets où il présente sous pseudonyme sa conception de la poésie : « Le Vers libre et la strophe analytique » (1905). Dans La Phalange, organe du néo-symbolisme, il rappelle des souvenirs des Entretiens et des premiers temps d’une aventure intellectuelle désormais achevée. Après l’échec d’une fusion entre La Phalange et Antée, Gide l’invite à collaborer à La NRF. Dans sa première contribution (juin 1909), Vielé-Griffin prévoit d’évoquer le souvenir de Swinburne dont l’œuvre lui est chère sous la forme familière d’une lettre à Gide, qui mêlerait les deux écrivains dans un même éloge. Mais il préfère renoncer au procédé quand il comprend qu’il est contraire à l’éthique de la revue. Après la guerre, leurs liens s’estompent sans jamais se rompre et leurs lettres, même plus rares, témoignent encore d’une reconnaissance commune.

Pierre Lachasse

Le site du CEG a été réalisé grâce au soutien de la Fondation Catherine Gide, avec la participation de l’Association des Amis d’André Gide. Il a été réalisé en partenariat avec Martine Sagaert, responsable du site originel andre-gide.fr, créé en 2006 avec des étudiant.e.s de l'I.U.T. des Métiers du Livre de Bordeaux.