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Paludes, petit livre qui raconte l’histoire d’un écrivain qui ne fait rien d’autre qu’écrire Paludes, témoigne de l’enfermement maniaque, névrotique, dans la création, sur un mode grinçant et ironique qui le fera finalement classer par Gide dans le genre des soties, comme Le Prométhée mal enchaîné et Les Caves du Vatican. Le projet de Paludes remonte vraisemblablement au début du printemps 1893, avant son premier séjour en Afrique du Nord, mais la conception et l’écriture de cette sotie, l’année suivante, sont directement marquées par ce séjour qui transforma sa vision du monde. De retour en France, Gide porte en lui « un secret de ressuscité » et connaît « cette sorte d’angoisse abominable que dut goûter Lazare échappé du tombeau » : « Un tel état d’estrangement […] m’eût fort bien conduit au suicide », raconte Gide rétrospectivement, « n’était l’échappatoire que je trouvai à le décrire ironiquement dans Paludes. » (Si le grain ne meurt)
L’écriture de Paludes a donc pour Gide une fonction de catharsis : elle lui permet de se purger d’un certain nombre d’idées, de sentiments, désormais caducs, voire gênants, car sa vision du monde s’est modifiée à la faveur des expériences algériennes. Gide n’hésite pas à laisser parler son inconscient, comme il le revendique dans sa préface, et une scène onirique et fantasmatique comme la scène de chasse aux canards, voisine avec le récit d’un cauchemar obsédant. À travers la relation platonique qui unit le narrateur et sa compagne Angèle, il tourne en dérision André Walter et, du même coup, son amour platonique pour sa cousine Madeleine. L’ironie permet cependant à Gide d’établir une distance salutaire vis-à-vis de représentations qui, sans cela, prendraient une teinte morbide. En reprenant et en amplifiant certaines caractéristiques formelles du Voyage d’Urien, en donnant notamment libre cours à un « certain sens du saugrenu » (Si le grain ne meurt) déjà apparu dans le Voyage, il affirme avec force sa « plaisanterie particulière » (Littérature et Morale), cette marque du créateur authentique, selon lui.
Au moment de la rédaction, Gide a bien conscience d’écrire « une satire du temps présent » (lettre à A. Mockel). Désireux de prendre ses distances avec l'« atmosphère étouffée des salons et des cénacles, où l’agitation de chacun remuait un parfum de mort » (lettre à P. Claudel), il fait la satire du milieu littéraire parisien et, plus particulièrement, du symbolisme. Pour autant, la démarche de Gide ne laisse pas d’être ambiguë : dirigé contre les cénacles, Paludes est aussi écrit pour eux et multiplie allusions littéraires et private jokes. Tous les personnages sont renvoyés dos-à-dos, du littérateur à Angèle en passant par « le grand ami Hubert ». La satire vise et l’artiste, et les philistins, mais « celui qui écrit Paludes » est une sorte de « saint en art », comme Mallarmé qu’il ne cesse d’invoquer. Satire du symbolisme mais aussi de la vanité propre aux littérateurs, qui est de tous les temps et de tous les pays, Paludes est l’œuvre d’un moraliste et comme telle, a une résonance universelle. L’ironie indécidable qui irrigue constamment l’écriture fonde la modernité de cette œuvre qui appelle de ses vœux la « collaboration » du lecteur (Préface de Gide) et sera saluée par Roland Barthes comme « un grand livre, et un livre moderne », et comme « une des cinq ou six œuvres les plus importantes de notre temps » par Nathalie Sarraute.
Bibliographie raisonnée
Éditions
Paludes, éd. Jean-Michel Wittmann, in Romans et récits. Œuvres lyriques et dramatiques, vol. I, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 2009 (texte p. 257-326, notice, note sur le texte, notes p. 1292-1311).
Études critiques
Angelet Christian, Symbolisme et invention formelle dans les premiers écrits d’André Gide (« chapitre troisième : Paludes ou la fiction de la liberté »), Gand, Romanica Gandensia XIX, 1982.
Bertrand Jean-Pierre, Paludes d’André Gide, Paris, Gallimard, coll. Foliothèque, n° 97, 2001.
Wittmann Jean-Michel, Symboliste et déserteur. Les œuvres fin de siècle d’André Gide, Paris, Honoré Champion, coll. Romantisme et modernité n° 13, 1997.
Numéros de revue
Paludes, 1982, Bulletin des Amis d’André Gide, n° 54, avril 1982.
Retour à “Paludes”, Bulletin des Amis d’André Gide, n° 77, janvier 1988.
Articles critiques
« Paludes : pages retrouvées », Bulletin des Amis d'André Gide, n°117, janvier 1998, p. 63-67.
Constant Isabelle, « "Qu'est-ce que tu fais ? - J'écris Paludes". L'aporie gidienne. », Bulletin des Amis d'André Gide, n° 126-127, avril-juillet 1990, p. 289-298.
Constant Isabelle, « Le drame au passé simple : Paludes. », Bulletin des Amis d'André Gide, n° 130, avril 2001, p. 191-202.
Hers Paul d', « Tour des marais », Bulletin des Amis d'André Gide, n°77, janvier 1988, p.5-21.
H. Walker David, « "Paludes au cinéma" : un texte d'André Silvaire », Bulletin des Amis d'André Gide, n° 145, janvier 2005, p. 87-90.
Masson Pierre, « Paludes ou la chasse aux canards », André Gide 7, Minard 1984.
Michelet Valérie, « Le carnet de notes et l'agenda comme programmation de l'écriture dans deux romans fin-de-siècle : Sixtine, de Remy de Gourmont, et Paludes, d'André Gide. », Bulletin des Amis d'André Gide, n° 126-127, avril-juillet 1990, p. 299-318.
Raimond Michel, « Modernité de Paludes », Australian Journal of French Studies, janvier-août 1970, p. 189-194.
Sagaert Martine, « Modernité de Paludes », in Kopp Robert et Schnyder Peter (éds.), André Gide et la tentation de la modernité, actes du colloque international de Mulhouse de 2001, Paris, Gallimard, coll. Les Cahiers de la NRF, 2002, p. 297-314.
Savage-Brosman Catharine, « Le monde fermé de Paludes », André Gide 6, Paris, Minard, 1979, p. 143-157.