Vous trouverez en bas de cette page plusieurs ressources critiques en ligne. Elles figurent en couleur.
À l’origine des Caves du Vatican, un fait-divers qui amuse Gide alors qu’il se trouve en Algérie en 1893 : un retentissant procès contre de prétendus « libérateurs de Sa Sainteté » le Pape « emprisonné dans les cachots du Vatican » par des francs-maçons, des escrocs ayant monté cette fable et abusé de la crédulité de croyants sollicités pour participer financièrement à la croisade pour le délivrer (Cf. « Contexte, sources et référents des Caves », CD-Rom : Édition génétique des Caves du Vatican d'André Gide, conçue, élaborée et présentée par Alain Goulet ; réalisation éditoriale : Pascal Mercier.Sheffield : André Gide Editions Project ; et Paris: Gallimard, 2001). A quoi est venue se greffer l’idée d’un « acte gratuit » commis par un adolescent : Lafcadio. Ce projet prend consistance après 1902, lorsque Gide se met à concevoir un roman d’aventure qui redonnerait vigueur au genre du roman suranné et languissant de l’époque. Après Isabelle (1911), ce projet de roman connaît un début d’exécution, bien laborieux d’abord à cause de la difficulté de trouver le ton juste et de marier les différentes intrigues. Pour se mettre dans le bain, Gide lit et relit De Foe, Stevenson, Fielding ; et bientôt, il s’écrie : « Les Caves deviennent un livre prodigieux ! » Jacques Copeau, qui l’accompagne tout au long de la genèse de l’ouvrage, définit en mai 2012 le roman de l’avenir par son « aptitude à narrer de longue haleine des aventures », son « esthétique de l’illogique et de l’inconditionné », son mode de composition « multiforme, ramifié, souple comme l’ordre musical ». Enfin, en 1913, Jacques Rivière publie un grand article sur « Le roman d’aventure » qui « sera tout entier en acte ». Gide, sur le point de boucler son roman, lui écrit alors : « C’est bien précisément parce que je vois le Roman […] comme vous le voyez vous-même, que même Les Caves je ne puis les considérer comme un roman, et que je tiens à mettre sous le titre : Sotie. »
C’est donc comme « sotie » que paraissent Les Caves du Vatican en 1914, d’abord en feuilleton dans La Nouvelle Revue française (de janvier à avril), puis l’édition originale en deux volumes et la première édition courante suivent fin mai début juin.
La sotie se présente comme une succession d’aventures qui se déroulent au présent au cours de l’année 1893 : au centre, la fable de l’enlèvement du Pape, montée par Protos, entourée des péripéties des trois personnages « crustacés », fantoches encroûtés dans leurs idéologies : le savant scientiste et franc-maçon Anthime Armand-Dubois qui se convertit au catholicisme ; l’écrivain mondain Julius de Baraglioul à la logique simpliste qui conçoit soudain l’acte gratuit au pied du Pape auquel il vient demander réparation pour son beau-frère ; Amédée Fleurissoire le « jobard », animé par sa croyance religieuse naïve, qui s’imagine en preux chevalier partant délivrer le Pape ; ces trois personnages se laissant donc retourner au gré des événements. S’opposent à eux les « subtils » : la contre-société du « Mille-Pattes » (essentiellement Protos), et Lafcadio, jeune homme bâtard évoluant en marge de la société et de ses règles, qui commet un « acte gratuit » en jetant sans raison Fleurissoireau bas d’un train en marche. Après de rocambolesques aventures et les morts de Juste-Agénor, père de Lafcadio, de Fleurissoire, et de Carolaassassinée par Protos, la sotie se termine par un apparent retour à l’ordre : Anthime abjure sa foi catholique en apprenant que le Pape n’est pas le vrai et retourne à sa libre pensée ; Julius retrouve son personnage de romancier moraliste et mondain imbu de sa logique afin d’être élu à l’Académie française ; et Fleurissoire se trouve remplacé auprès de son épouse dès son enterrement par son ami Blafaphas. Mais s’opposent aussitôt à ce retour à l’ordre social l’union incestueuse de Geneviève, la fille de Julius, et de Lafcadio son oncle, puis l’interrogation finale de celui-ci concernant sa voie à suivre, abandonnant résolument Geneviève qui vient de le ramener à la vie et de lui offrir son amour.
L’œuvre fait aussitôt scandale, avec sa mise en procès ironique des institutions sociales et des idéologies : Église catholique, franc-maçonnerie, scientisme, sans compter diverses évocations des tendances homosexuelles de Lafcadio qui déclenchent la fureur de Paul Claudel et entraînent sa rupture avec Gide. De proche en proche, c’est l’existence de Dieu qui est mise en cause, d’un Dieu garant de l’ordre et des valeurs. Les notions de vrai et de faux, d’apparence et de réalité, tendent à se mêler ou à s’invertir. Au-delà du procès du scientisme, c’est tout le problème de la connaissance scientifique, des comportements et des déterminations qui est en question. S’y ajoutent les procès de la famille, « grande chose fermée » ; de la morale, avec le thème de la mort du Père et de la révolte contre la Loi ; la disparition d’un Pape fantoche appelant celle de Dieu ; la conception de Lafcadio, le bâtard ; le mépris que Geneviève manifeste à l’égard de son père…
Protos (= premier, en grec) est comme un délégué de l’auteur, non seulement en inventant et conduisant la fiction de l’enlèvement du Pape qui met en branle l’essentiel de l’intrigue, en intervenant directement ou non auprès des personnages pour infléchir leur conduite, mais aussi en énonçant, auprès de Lafcadio, quelques règles de sociologie appliquée sous forme de préceptes : « n'avoir jamais l'air de ce qu'on [est] » ; « dans la vie, l'on se tire des pas les plus difficiles en sachant se dire à propos : qu'à cela ne tienne » ; « Des gens de la société, comme vous ou moi, se doivent de vivre contrefaits » ; « pour faire de l'honnête homme un gredin ? Il suffit d'un dépaysement, d'un oubli ! » ; la notion de société est fondamentale car on ne peut « sortir d'une société […] sans tomber du même coup dans une autre » ; « une société [ne peut] se passer de lois » (RR1, 1053 et 1158-1161).
L’ironie narrative n’empêche pas l’investissement personnel de Gide. En chacun des trois « crustacés » que sont Anthime, Julius et Amédée, il glisse certains traits de sa personnalité pour s’en purger en s’en moquant : au premier, il confère son goût pour les sciences et les expériences, son émoi devant certains vauriens ; à travers le second, ce sont certains aléas de sa vie d’homme de lettres qu’il présente ; et il attribue au troisième certains de ses avatars de voyageur dont il se gausse, sa manière par exemple de se tromper de train, de tenir ses comptes, d’accueillir les rencontres, son expérience des hôtels et du barbier de Naples. Et certains traits des relations de couple sont nourris du vécu de l’auteur. Avec Lafcadio, c’est au contraire un être selon ses vœux qu’il conçoit, libéré de toutes les contraintes qui ont pesé sur lui, de la famille, l’école, la religion, la morale, et pouvant suivre ses propres désirs. Avec Protos se manifeste son côté démoniaque et fabulateur.
Les Caves du Vatican, étape fondamentale dans la conquête du roman, constituent un pivot fondamental dans la carrière de Gide, ce qu’il souligne à la fin de son épître dédicatoire : « il m'apparaît que je n'écrivis jusqu'aujourd'hui que des livres ironiques — ou critiques, si vous le préférez — dont sans doute voici le dernier. » Suivront en effet des œuvres dans lesquelles il s’affirmera, essentiellement Corydon et Si le grain ne meurt.
Bibliographie raisonnée
Éditions
Les Caves du Vatican, éd. d'Alain Goulet, in Romans et récits. Œuvres lyriques et dramatiques, vol. I, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 2009 (texte p.993-1196 , notice, note sur le texte, notes p.1463-1502).
Goulet Alain, édition génétique des Caves du Vatican, librement accessible.
Études critiques
Le Centenaire des « Caves du Vatican », Bulletin des Amis d'André Gide, automne 2014, n° 183-184.
Angelo Anne-Sophie, Le Sens des personnages chez André Gide, Paris, Classiques Garnier, « Bibliothèque gidienne », 2016 (et tout particulièrement les pages).
Fillaudeau Bertrand, L’Univers ludique d’André Gide. Les soties, Paris, José Corti, 1985.
Goulet Alain, Les Caves du Vatican d’André Gide. Étude méthodologique, Paris, Larousse, « Thèmes et textes », 1972.
Goulet Alain, Fiction et vie sociale dans l’œuvre d’André Gide, Paris, Minard, « Lettres modernes », 1985 (et tout particulièrement les pages ).
Saggiomo Carmen, La Fortuna italiana delle « Caves du Vatican » di Andre Gide, prefazione di Pierre Masson, Ariccia, Aracne editrice, 2015.
Articles critiques
Anton Sonia, « L'adaptation théâtrale des Caves du Vatican de 1933. », Bulletin des Amis d'André Gide, n°165, janvier 2010, p. 59-102.
Backès Jean-Louis, “L’acte gratuit, invention des poètes symbolistes ?”, Nouvelle Revue de Psychanalyse, XXXI, printemps 1985, p.93-105.
Bancroft W. Jane, “Les Caves du Vatican : vers l’écriture du roman”, André Gide, no 6 : Perspectives contemporaines, Paris, Lettres modernes / Minard, 1979, p.159-175.
Bompaire François, "Je et Les Autres. Ironie et sociologie dans Les Caves du Vatican d'André Gide", in J.-M. Wittmann (éd.), Gide ou l'identité en question, Paris, Classiques Garnier, "Bibliothèque gidienne", 2017, p.151-165.
Cancalon Elaine D[avis], “La structure du système dans Les Caves du Vatican : approches sémiques, fonctionnelle et formelle", André Gide, no 7: Le romancier, Paris, Lettres modernes / Minard, 1984, p.117-144.
Field Trévor, “Les soubassements littéraires des Caves du Vatican”, BAAG, no 55, juillet 1982, p.369-373.
Goulet Alain, “L’écriture de l’acte gratuit”, André Gide, no 6 : Perspectives contemporaines, Paris, Lettres modernes / Minard, 1979, p.177-201.
Goulet Alain, “Horizons anglais des fictions gidiennes”, in André Gide et l’Angleterre, édité par Patrick Pollard, ‘Le Colloque Gide’, Birbeck College, Londres, 1986, p.112-117. (À propos des citations anglaises dans Les Caves.)
Goulet Alain, « La Longue Marche vers l'édition génétique des Caves du Vatican », Bulletin des Amis d'André Gide, n°128, octobre 2000, p.399-410.
Goulet Alain, « Prolégomènes à une relecture des Caves du Vatican », Bulletin des Amis d'André Gide, n°128, octobre 2000, p.411-426.
Goulet Alain, « Comment concevoir et organiser l'édition génétique d'une œuvre littéraire ? L'exemple des Caves du Vatican », Bulletin des Amis d'André Gide, n°129, janvier 2001.
Goulet Raymond, “L’ironie des Caves du Vatican”, André Gide, no 10 : L’écriture d’André Gide 1 : genèses et spécificités, Paris-Caen, Lettres modernes / Minard, 1998, p.245-255.
Masson Pierre, “Paul Bourget au pays d’André Gide ou le cave du Vatican”, BAAG, no 43, juillet 1979, p.33-41.
Masson Pierre, « Quelques recoins des Caves. », Bulletin des Amis d'André Gide, n° 137, janvier 2003, p. 11-20.
Mercier Pascal, « Recensement », Bulletin des Amis d'André Gide, n°128, octobre 2000, p.471-480.
Oliver Andrew, « Dans les caves des Caves du Vatican », Bulletin des Amis d'André Gide, n°131-132, jullet-octobre 2001.
Rosner Anna, « Les Caves du Vatican, ou la nouvelle Bible. », Bulletin des Amis d'André Gide, n°145, janvier 2005, p. 47-62.
Steel David A[ngus], “Gide and the conception of the bastard”, French Studies, juillet 1963, p.238-248.
Steel David A[ngus], “Le prodigue chez Gide : essai de critique économique de l’acte gratuit”, Revue d’Histoire Littéraire de la France, XVII, no 2, mars-avril 1970, p.209-229. (Texte remanié et repris sous le titre “Gide’s Prodigal : Economics, Fiction and the Acte Gratuit” dans l’anthologie de textes critiques réunis par David Walker, André Gide, Londres et New York, Longman, 1996, p.52-78.)
Steel David A[ngus], “Lafcadio ludens” : Ideas of play and levity in Les Caves du Vatican”, The Modern Language Review, juillet 1971, vol. 66, no 3, juillet 1971, p.554-564.
Steel David, “Fiction, relativity theory, quantum chaology and Big Bang : the case of Les Caves du Vatican”, French Cultural Studies, vol. IX, février 1998, p.1-17.
Tilby Michael, “Les Caves du Vatican ou le roman impossible”, André Gide, no 11 : L’écriture d’André Gide 2 : méthodes et discours, Paris-Caen, Lettres modernes / Minard, 1999, p.33-54.
Van Tuyl Jocelyn, « Intrigues et complots. Les Caves du Vatican d'André Gide et Anges et démons de Dan Brown. », Bulletin des Amis d'André Gide, n°162, avril 2009, p. 193-202.
Walker David H[arold], “Gide et le discours criminologique”, André Gide, no 11 : L’écriture d’André Gide 2 : méthodes et discours, Paris-Caen, Lettres modernes / Minard, 1999, p.123-146.
Walker David H[arold], “Gide et le fait divers", Littératures contemporaines no 7 : “André Gide”, études réunies par Pierre Masson, Paris, Klincksieck, 1999, p.37-54.
West Russell, « Jim et Lafcadio », Bulletin des Amis d’André Gide, n° 106, avril 1995, p.293-302.
West Russell, « Moll Flanders et Robinson Crusoé à Paris », Bulletin des Amis d’André Gide, n° 124, octobre 1999, p.353-372.